Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Le principe d’impartialité applicable aux contrats de concession implique-t-il une absence totale de tous liens passés. ?

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NON : dans une ordonnance n°2303203 en date du 26 octobre 2023, le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Toulon a jugé que le principe d’impartialité défini par l’article L.3123-10 du code de la commande publique, applicable aux contrats de concession, n’impliquait jamais une absence totale de tous liens passés.

Il serait d’ailleurs inapplicable, notamment dans les domaines d’activité relativement étroits où les personnes jouissant d’une certaine expertise sont peu nombreuses et l’ont acquise en travaillant pour le compte des opérateurs économiques du secteur.

Leur interdire d’exercer toute mission de conseil auprès des maîtres d’ouvrage serait porter à leur liberté d’exercer une profession, une atteinte excessive et priverait les maîtres d’ouvrages d’un soutien utile.

Dans le cas d’espèce, par un avis d’appel public à concurrence, la Métropole de TPM a lancé une consultation en vue de l’attribution d’un nouveau contrat de concession d’une durée de 30 ans, pour externaliser auprès d’un opérateur unique, la gestion de l’ensemble des 7 ports (avec possibilité optionnelle d’inclure 2 autres ports par affermissement) entrant dans le champ de compétence de la Métropole et précédemment gérés soit par régie, soit par contrat de concession.

Ce contrat consiste en une concession de service public pour l’exploitation, le réaménagement, l’entretien et le développement des ports de plaisance de la rade de Toulon et de Saint-Elme, afin de réhabiliter et moderniser les infrastructures, développer l’activité des ports de plaisance dans le strict respect de l’environnement, développer des services innovant et connectés au service des usagers et proposer des offres adaptées de développement portuaire en lien avec les communes.

Pour mener à bien cette procédure d’attribution, la Métropole Toulon Provence Méditerranée (TPM) s’est octroyé l’aide d’un assistant à maîtrise d’ouvrage, groupement constitué des sociétés EY en tant que qu’AMO financier, EY Société d’avocats en tant qu’AMO juridique, Créocéan en tant qu’AMO technique et Wiinch en tant qu’AMO technique spécialisé dans l’exploitation et le développement des ports de plaisance.

Par une délibération en date du 28 septembre 2023, le conseil métropolitain de TPM a choisi de retenir l’offre du Groupement EIFFAGE – SODEPORTS.

La Chambre de commerce et d'industrie du Var et la société NGE Concessions ont saisi le juge des référés précontractuel du tribunal administratif de Toulon en annulation de la procédure de passation de la concession de service public pour l’exploitation et le réaménagement des ports de plaisance de la rade de Toulon et de Saint-Elme initiée par la Métropole Toulon Provence Méditerranée (TPML).

Aux termes de l’article L.551-1 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. »

L’article L.551-2 du même code dispose que : « Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations »

Aux termes de l’article L.3123-10 du code de la commande publique, applicable aux contrats de concession : « L'autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d'un contrat de concession les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens. Constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du contrat de concession ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du contrat de concession. »

Pour apprécier cette règle, il convient d’une part de tenir compte de la nature, de l’intensité, de la date et de la durée des relations directes ou indirectes que la personne a eues avec l’une des parties et, d’autre part, de vérifier si la personne en cause a été susceptible d’exercer une influence sur l’issue de la procédure d’attribution.

Mais aussi, le principe d’impartialité, quel que soit son champ d’application, n’implique jamais une absence totale de tous liens passés.

Il serait d’ailleurs inapplicable, notamment dans les domaines d’activité relativement étroits où les personnes jouissant d’une certaine expertise sont peu nombreuses et l’ont acquise en travaillant pour le compte des opérateurs économiques du secteur.

Leur interdire d’exercer toute mission de conseil auprès des maîtres d’ouvrage serait porter à leur liberté d’exercer une profession, une atteinte excessive et priverait les maîtres d’ouvrages d’un soutien utile.

D’une part, il résulte de l’instruction que les partenariats entre le Groupe Eiffage et la société Créocéan, bien que répétés, sont très modérés, qu’ils n’ont jamais duré dans le temps et sont restés très ponctuels, qu’ils constituent un pourcentage très résiduel du chiffre d’affaires de la société Créocéan, laquelle ne dispose d’aucun intérêt particulier avec les sociétés du Groupement Eiffage – Sodéports et se sont tous achevés avant le lancement de la procédure d’attribution litigieuse.

Le seul partenariat cité par la requérante qui est actuel, est celui constitué entre la société Créocéan, la société Eiffage Travaux Maritimes et Fluviaux et la société SCE dans le cadre de la concession relative à la Marina Baie des Anges à Villeneuve-Loubet.

Toutefois, bien que ce lien soit actuel, il n’en demeure pas moins que l’intensité de la relation d’affaires est très relative et ne saurait constituer un quelconque intérêt de la société Créocéan au sein des sociétés du Groupement Eiffage - Sodéports, dès lors que ce contrat conclu en décembre 2020 pour une durée de 4 ans, a été conclu pour un montant total d’environ 500.000 euros, soit, ramené à l’année, environ 125.000 euros pour l’ensemble des 3 membres du groupement, autrement dit, un pourcentage de moins de 1,54% – étant précisé que la part de la société Créocéan est nécessairement encore inférieure – sur la moyenne du chiffre d’affaires de la société Créocéan des années 2020 et 2021.

Ainsi, l’intensité des relations commerciales entre l’un des AMO techniques de TPM et le groupement attributaire n’est pas constituée, dès lors que la société Créocéan ne dispose d’aucun intérêt direct auprès dudit groupement.

D’autre part, le secteur d’études et conseils en matière d’aménagement et de génie portuaire est particulièrement étroit, rendant inévitable une collaboration, à un moment où un autre, entre les acteurs du secteur, a fortiori pour des entreprises telles que celles constituant le Groupement EIFFAGE – SODEPORTS intervenant en matière de génie civil portuaire, littoral et fluvial, et nécessitant des expertises d’études relevant de la compétence de la société Créocéan.

Ainsi, il n’existe que peu de références d’entreprises pertinentes dans le domaine d’intervention de la société Créocéan, illustrant, s’il en était besoin, le caractère très restreint et spécialisé du secteur, rendant inévitable le croisement et les liens commerciaux entre ses différents acteurs, ne constituant donc pas nécessairement une impartialité du seul fait d’une collaboration ponctuelle entre lesdits acteurs.

Enfin, il ne résulte pas de l’instruction que l’influence exercée par la société Créocéan sur l’attribution, ait été déterminante, la société Créocéan n’étant au demeurant pas la seule AMO technique de la Métropole, la société Wiinch jouant également un rôle important dans l’analyse technique des offres.

Il ressort également du dossier d’instruction que TPM n’a pas suivi son AMO à la suite de l’analyse des offres initiales, puisque, aux dires même de la Chambre de commerce et d'industrie du Var et de la société NGE Concessions, la Métropole a tranché contre l’avis de l’AMO en retenant l’offre du Groupement Eiffage – Sodéports.

Il résulte de tout ce qui précède que, d’une part, la relation d’affaires entre la société Créocéan et les sociétés membres du groupement attributaire n’est pas substantielle ni constitutive d’un intérêt et que, d’autre part, l’influence que la société Créocéan a été susceptible d’exercer sur le choix du titulaire a été très limitée.

Les conditions de l’impartialité n’étant pas remplies, ni en droit, ni en fait, ce premier moyen ne pourra qu’être rejeté comme étant infondé.

SOURCE : Tribunal administratif de Toulon, 26 octobre 2023, n°2303203.

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