Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

L’utilisation d'une fourniture différente de celle prévue au marché suffit-elle à établir l'intention frauduleuse ou dolosive du constructeur ?

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NON : dans un arrêt en date du 28 juin 2019, le Conseil d’Etat précise que la seule utilisation d'une fourniture différente de celle prévue au marché, du fait de l'emploi d'une colle non conforme aux prescriptions techniques, ne suffisait pas à établir l'intention frauduleuse du constructeur, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation. Si la requérante soutient que la destination de la centrale culinaire était, contrairement à ce qu'a estimé la cour, durablement compromise compte tenu de la gravité des désordres résultant de l'utilisation de cette colle inadaptée, cette seule circonstance, à la supposer établie, ne suffit pas à caractériser une faute assimilable à une fraude ou à un dol du constructeur en l'absence de violation intentionnelle, par ce dernier, de ses obligations contractuelles.

L'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat, ou bien d'une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commises volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences.

En estimant que la seule utilisation d'une fourniture différente de celle prévue au marché, du fait de l'emploi d'une colle non conforme aux prescriptions techniques, ne suffisait pas à établir l'intention frauduleuse du constructeur, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation.

Si la requérante soutient que la destination de la centrale culinaire était, contrairement à ce qu'a estimé la cour, durablement compromise compte tenu de la gravité des désordres résultant de l'utilisation de cette colle inadaptée, cette seule circonstance, à la supposer établie, ne suffit pas à caractériser une faute assimilable à une fraude ou à un dol du constructeur en l'absence de violation intentionnelle, par ce dernier, de ses obligations contractuelles.

Il résulte de ce qui précède que la cour n'a pas procédé à une qualification juridique inexacte des faits qui lui étaient soumis en estimant le manquement du constructeur à ses obligations contractuelles ne constituait pas une faute assimilable à une fraude ou à un dol.

SOURCE : Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 28/06/2019, 416735

POUR MEMOIRE :

L’article 1137 du code civil dispose que : « Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. »

 

JURISPRUDENCE :

Conseil d'Etat, Section, du 24 mai 1974, 85939 86007, publié au recueil Lebon (Société Paul Millet et Cie)

« (…) Considérant que les fautes commises par la société Paul Millet ou par la société Maschino, sous-traitante, a l'occasion tant de la construction initiale en 1952 et 1953 de la ferme des consorts Michel que des travaux de reprise et de consolidation exécutés en 1956 ou 1957 sur les piliers de béton soutenant la dalle du grenier à foin - dalle dont l'effondrement est à l'origine de la ruine de l'ouvrage - et décrites par l'expert commis par un précédent jugement avant dire droit, sont telles que le tribunal administratif, après avoir constaté que l'action des consorts Michel avait été introduite après l'expiration du délai décennal, a pu, sans commettre d'erreur de droit et sans conférer a cette mesure d'instruction un caractère frustratoire, ordonner une nouvelle expertise aux fins, notamment, de rechercher si les malfaçons relevées par le précédent expert étaient imputables à des fautes qui par leur nature et leur gravité étaient assimilables a une fraude ou à un dol ; (…) »

Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 26/11/2007, 266423, Publié au recueil Lebon (Société Les Travaux du Midi)

« L'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir en cas de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat et qui n'est soumise qu'à la prescription qui résulte des principes dont s'inspire l'article 2262 du code civil. En l'absence même d'intention de nuire, la responsabilité trentenaire des constructeurs peut également être engagée en cas de faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commise volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences. »

Conseil d'Etat, 4 /10 SSR, du 3 avril 1991, 84626, publié au recueil Lebon (Société S.M.A.C. Acieroïd)

« Entrepreneur titulaire du lot d'étanchéité d'un restaurant universitaire et n'ayant muni d'un dispositif pare-vapeur qu'une faible surface de la superficie totale de la toiture-terrasse alors que le descriptif prévoyait une protection totale et qu'aucun avenant au marché ne prévoyait cette inexécution incomplète. En dépit de la production d'un plan dont l'origine n'est pas établie, aucun accord en ce sens n'a été donné au cours d'une réunion de chantier. L'entrepreneur, spécialiste de l'étanchéité, ne pouvait ignorer les conséquences prévisibles de cette inexécution. La société a néanmoins réclamé le paiement d'un ouvrage entièrement exécuté. L'ensemble de son comportement a constitué une faute qui, par sa nature et sa gravité, est assimilable à une fraude ou à un dol. Dès lors sa responsabilité est restée engagée, après l'expiration du délai de la garantie décennale, sur le fondement de la responsabilité trentenaire. »

Conseil d'Etat, 7 /10 SSR, du 10 juillet 1996, 132921, publié au recueil Lebon (Commune de Boissy-Saint-Léger)

« Après la réception définitive de l'ouvrage, qui vaut quitus pour le maître d'ouvrage délégué, la responsabilité de celui-ci envers le maître de l'ouvrage ne peut plus être recherchée, sur le fondement de l'article 2262 du code civil, que dans l'hypothèse où il aurait eu un comportement fautif qui, par sa nature ou sa gravité, serait assimilable à une fraude ou un dol. Après avoir relevé les faits survenus et souverainement apprécié l'absence d'intention dolosive, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de qualification en déniant à ces faits le caractère de faute assimilable à une fraude ou un dol, de nature à permettre que la responsabilité du maître d'ouvrage délégué soit engagée à l'égard du maître de l'ouvrage, en dépit de la réception définitive de l'ouvrage, sur le fondement de l'article 2262 du code civil. Tribunal administratif ayant condamné solidairement trois architectes à indemniser le maître de l'ouvrage sur le fondement de la garantie décennale. Les héritiers de M. C. ayant seuls, par la voie de l'appel provoqué, présenté des conclusions tendant à ce que leur responsabilité soit atténuée, et en l'absence de représentation mutuelle des débiteurs "in solidum", la cour administrative d'appel statue au-delà des conclusions dont elle est saisie en abaissant l'indemnité due par les deux autres architectes. »

Conseil d'Etat, 7 /10 SSR, du 12 mars 1999, 170103, publié au recueil Lebon (Commune de Lansargues) 

« La constatation de l'existence ou non d'une intention dolosive dans le comportement professionnel d'une personne relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. En reconnaissant à des faits le caractère d'une faute assimilable par sa nature ou sa gravité à une fraude ou à un dol, la cour administrative se livre à une qualification juridique soumise au contrôle du juge de cassation.
En reconnaissant à des faits le caractère d'une faute assimilable par sa nature ou sa gravité à une fraude ou à un dol, la cour administrative se livre à une qualification juridique soumise au contrôle du juge de cassation. La constatation de l'existence ou non d'une intention dolosive dans le comportement professionnel d'une personne relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. »

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