Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Quel est le régime de responsabilité de l'Etat à l'égard des victimes d'actes de terrorisme à raison des carences des services de renseignement ?

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EN BREF : dans un arrêt en date du 18 juillet 2018, le Conseil d’Etat rappelle que seule une faute lourde est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des victimes d'actes de terrorisme à raison des carences des services de renseignement dans la surveillance d'un individu ou d'un groupe d'individus.

La Cour administrative d’appel avait relevé que l'enquête dont Mohamed G...avait fait l'objet au premier semestre 2011, si elle avait mis en évidence le profil radicalisé de l'intéressé et son comportement méfiant, n'avait pas permis de recueillir des indices suffisamment sérieux d'infraction en lien avec des actes terroristes, de nature à justifier l'ouverture d'une information judiciaire à l'encontre de l'intéressé .

Si la Cour a constaté qu'au cours de l'audition du 14 novembre 2011, les agents de la direction centrale du renseignement intérieur, induits en erreur par l'attitude dissimulatrice de Mohamed G..., n'étaient pas parvenus à mettre en évidence son appartenance à un réseau djihadiste et l'existence de risques suffisamment avérés de préparation d'actes terroristes, elle a retenu que ni cette méprise sur la dangerosité de l'intéressé ni l'absence de reprise des mesures de surveillance qui en est résulté ne caractérisaient, eu égard aux moyens matériels dont disposaient les services de renseignement et aux difficultés particulières inhérentes à la prévention de ce type d'attentat terroriste, l'existence d'une faute lourde.

En statuant ainsi, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a, eu égard à ses appréciations souveraines exemptes de dénaturation, pas commis d'erreur de qualification juridique.

SOURCE : Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 18/07/2018, 411156

 

POUR MEMOIRE :

À l’heure actuelle, l’exigence de faute lourde n’est plus que résiduelle dans la jurisprudence du Conseil d’État. Elle a été progressivement abandonnée s’agissant des mesures juridiques de police administrative qui ne présentent pas de difficultés particulières, en matière médicale où la responsabilité des hôpitaux publics peut être engagée pour faute simple et pour des activités où l’urgence constitue un élément essentiel comme le secours d’urgence, le sauvetage en mer et le service de lutte contre les incendies…

Cependant elle subsiste dans certains domaines régaliens.

1 - Elle reste exigée en matière de responsabilité du fait des mesures de police effectuées sur le terrain comme les activités de surveillance de la police aux frontière.

Conseil d'Etat, 5 / 3 SSR, du 26 juin 1985, 45560, publié au recueil Lebon

« Si, en raison des difficultés particulières que présente l'activité de surveillance des frontières, la sortie du territoire français de personnes en situation irrégulière ne suffit pas, en elle-même, à établir l'existence d'une faute lourde, seule de nature à engager la responsabilité de l'Etat en raison des activités de surveillance des frontières, ces difficultés n'exonèrent pas les services de la police de l'air et des frontières de l'obligation qu'ils ont de prendre des mesures appropriées pour que les interdictions de sortie de territoire soient respectées. Embarquement à destination de l'Algérie, à l'aéroport de Lyon-Satolas, en compagnie de leur père, de deux enfants issus de l'union d'une mère française et d'un père algérien, divorcés, alors que le ministre de l'intérieur avait fait diffuser auprès des services de l'air et des frontières une opposition à la sortie de France de ces deux enfants. La sortie du territoire des deux enfants n'a été rendue possible qu'en raison de l'absence de vérification sérieuse, par les services de la police de l'air et des frontières de l'aéroport de Lyon-Satolas, des fichiers d'opposition à la sortie du territoire. En l'absence de circonstances particulières, de nature à justifier un allégement de la surveillance qui doit être normalement exercée, en particulier sur les mineurs, ou d'une manœuvre susceptible de tromper la vigilance des autorités de police, la négligence ainsi commise par ces autorités a été constitutive d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat. »

2 - Il en va de même de la responsabilité du fait de l’activité des services judiciaires en dehors toutefois des questions relatives aux délais de jugement.

Conseil d'Etat, ASSEMBLEE, du 29 décembre 1978, 96004, publié au recueil Lebon

« Les irrégularités les plus graves qui ont provoqué la faillite d'une banque résultant d'opérations occultes étrangères à la gestion de la banque et que la Commission de contrôle des banques ne pouvait déceler à l'aide des seuls moyens d'investigation dont elle dispose, la Commission n'a pas commis, dans l'exercice de sa mission de surveillance, de faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Les dispositions de l'article 11 de la loi du 5 juillet 1972 [codifiées à l'article L.781-1 du code de l'organisation judiciaire] mettant à la charge de l'Etat la réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ne concernent que les juridictions de l'ordre judiciaire et ne s'appliquent pas aux juridictions de l'ordre administratif. »

3 - La faute lourde pour engager la responsabilité de l’Etat est également requise en matière d'activités de surveillance et de contrôle exercées par l’administration.

Par exemple :

L'abstention d'un préfet de déférer au tribunal administratif un acte d'une collectivité locale

Conseil d'Etat, 3 / 8 SSR, du 21 juin 2000, 202058, publié au recueil Lebon

« L'abstention d'un préfet de déférer au tribunal administratif un acte d'une collectivité locale n'est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat que si cette abstention revêt le caractère d'une faute lourde. En application des dispositions des articles L.123-1, L.311-4, R.123-5 et R.311-10-4 du code de l'urbanisme, le préfet doit porter dans un délai de trois mois à la connaissance de la personne publique qui a pris l'initiative de la création d'une zone d'aménagement concerté, les informations relatives aux prescriptions nationales et particulières fixées en application des lois d'aménagement et d'urbanisme, les servitudes d'utilité publique et les projets d'intérêt général ainsi que toute autre information qu'il juge utile. »

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