Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Le « syndrome anxio-dépressif » apparu après la remise d’une lettre de demande d’explications est-il imputable au service ?

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NON : dans un arrêt en date 5 mars 2018, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé que le « syndrome anxio-dépressif réactionnel avec risque de passage à l'acte » suite à la remise et à la lecture de deux lettres demandant à un fonctionnaire surveillant de l’administration pénitentiaire des explications sur une absence non justifiée et sur un refus d'encadrer une sortie de détenus en montagne suivies  d'une retenue d'un trentième sur son traitement  pour service non fit pour avoir quitté temporairement son service afin d'aller acheter des légumes auprès sans en avertir les personnels d'encadrement, n’était pas imputable au service malgré un avis favorable de la commission de réforme. La Cour de Bordeaux a relevé, comme le garde des sceaux ministre de la justice, que les conclusions des expertises médicales avaient été établies sur la base des seules déclarations de l'intéressé et de son propre ressenti des événements et  qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier, que la remise et la simple lecture de la seconde lettre de demande d'explications auraient été à l'origine d'un choc émotionnel de l’agent sur son lieu de travail ni, davantage, qu'elles auraient constitué un évènement traumatisant à l'origine des troubles dépressifs dont il souffrait.

Le 5 mars 2013, M. F...B..., affecté au centre de détention du Port depuis 2009, où il exerce les fonctions de surveillant et de moniteur de sports, par ailleurs membre du bureau local de la CGT, a déclaré avoir subi un accident de service le 8 février 2013, date à laquelle sa hiérarchie lui a transmis une demande d'explications sur une absence non justifiée et son refus d'encadrer une sortie de détenus en montagne et demandé, en conséquence, que ses différents arrêts de travail consécutifs à l'apparition d'un syndrome anxio-dépressif soient pris en charge au titre du régime des accidents de service défini par le 2ème alinéa du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984.

S'écartant de l'avis favorable rendu par la commission de réforme compétente le 25 septembre 2014, le directeur inter-régional des services pénitentiaires d'outre-mer, a, par une décision du 8 janvier 2015, refusé de reconnaître une telle d'imputabilité au service et considéré que les arrêts de travail allant du 8 février au 1er mai 2013 et du 5 juillet 2013 au 31 mars 2014 sont à prendre en charge au titre des congés de maladie ordinaire.

Le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel du jugement du 12 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de La Réunion, saisi par M. B..., a annulé la décision contestée du 8 janvier 2015 et enjoint à l'administration de faire bénéficier l'intéressé du régime des accidents de service pour ces deux périodes de congés de maladie.

En l’espèce, Il est constant qu'après avoir été rendu destinataire d'une première demande d'explication datée du 17 janvier 2013 puis d'une retenue d'un trentième sur son traitement, le 30 janvier suivant, pour avoir quitté temporairement son service afin d'aller acheter des légumes auprès de l'association des détenus, le 15 janvier 2013, sans en avertir les personnels d'encadrement, M. B... a transmis directement, le 6 février 2013, à un juge d'application des peines, hors de tout cadre hiérarchique, un courrier indiquant son refus d'encadrer une sortie de détenus qui devait faire l'objet d'une validation définitive en commission d'application des peines (CAP) le jour-même et programmée pour le 23 février 2013, en concertation avec le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) dans un but d'évaluation de leurs capacités de réinsertion sociale, en se plaignant de ce que «  la direction [lui] demande de respecter les horaires de travail » et que « [il s'est vu] retirer une journée de salaire ». Il est tout aussi constant qu'à la suite de l'annulation de cette sortie, qui a contraint le personnel de l'établissement pénitentiaire à devoir maîtriser le mécontentement de la population pénale, M. B... s'est vu remettre sur son lieu de travail, le 8 février 2013, une seconde demande d'explications. Le jour même, l'intéressé a fait établir par un médecin généraliste un arrêt de travail simple courant jusqu'au 12 février 2013, qui a été prolongé jusqu'au 23 février 2013, en raison d'un « syndrome anxio-dépressif réactionnel avec risque de passage à l'acte ».

Pour émettre un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de cet état dépressif ainsi que la prise en charge subséquente, au titre de la législation sur les accidents de service, des congés de maladie de M. B... pour les deux périodes du 8 février au 1er mai 2013 puis du 5 juillet 2013 au 31 mars 2014, la commission de réforme s'est notamment fondée, lors de sa réunion susmentionnée du 25 septembre 2014, sur deux expertises médicales réalisées les 11 mai 2013 par docteur V…, psychiatre des hôpitaux, puis le 21 avril 2014 par le docteur P…, psychiatre, qui ont relevé que «  ses arrêts sont intrinsèquement liés à l'accident de service ».

1 - Toutefois, d'une part, et ainsi que le relève à juste titre le garde des sceaux, ministre de la justice, les conclusions desdites expertises médicales ont été établies sur la base des seules déclarations de l'intéressé et de son propre ressenti des événements.

A cet égard, l'expertise du docteur V… du 5 juillet 2013 mentionne que «  Les problèmes s'inscrivent, selon lui, à partir de septembre 2012 dans un cadre de conflit de la CGT avec la direction portant sur plusieurs problèmes », que « progressivement, M. B... a le sentiment que le conflit syndical se personnalise et qu'il devient en quelque sorte le bouc émissaire », qu' « il décrit ce qu'il vit comme un processus de harcèlement classique avec des mesures de surveillance à son égard pour chercher la moindre des fautes, des propos frisant l'irrespect, des rétentions d'informations, des questionnaires à tout bout de champ et des doutes lorsque effondré, il se met en arrêt de travail dans un contexte d'accident de travail », et conclut que « M. B... décrit une situation de confit institutionnel violent sans médiatisation avec des mesures « vexatoires répétées ayant abouti à un effondrement psychique imputable au travail le 8 février 2013. Il s'agit donc bien d'un accident de service ».

L'expertise du docteur P… du 21 avril 2014 indique, pour sa part, que « (...) Selon les dires de mon patient, la situation de harcèlement moral aurait débuté fin janvier 2013 par un retrait de salaire. A été placé en accident du 8 février 2013 avec reprise le 2 mai 2013 (il s'est plaint d'un isolement de la part de son supérieur avec conduites d'humiliation) puis une rechute d'accident de travail le 5 juillet 2013 avec reprise du travail à temps complet le 1er avril 2014 (...) ».

2 - D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment pas des mentions qui figurent dans le premier certificat d'arrêt de travail établi le 8 février 2013 par le docteur C…, médecin généraliste, qui se borne à indiquer, dans la rubrique consacrée aux éléments d'ordre médical : « Horaires Libres », que la remise et la simple lecture de la seconde demande d'explications, le 8 février 2013, auraient été à l'origine d'un choc émotionnel de M. B...sur son lieu de travail ni, davantage, qu'elles auraient constitué un évènement traumatisant à l'origine des troubles dépressifs dont il souffre.

Dans ces conditions, l'arrêt de travail ayant débuté le même jour et s'étant prolongé jusqu'au 23 février 2013 ne peut être considéré comme la conséquence directe et certaine de cette demande d'explications, laquelle ne peut dès lors, en elle-même, être qualifiée d'accident de service. Par suite, et nonobstant l'avis favorable rendu par la commission de réforme, qui ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de lier le pouvoir décisionnel de l'autorité administrative compétente, le directeur inter-régional des services pénitentiaires d'outre-mer a pu, pour ce seul motif, refuser de reconnaître l'imputabilité au service du prétendu accident survenu le 8 février 2013 et considérer que les arrêts de travail allant du 8 février au 1er mai 2013 et du 5 juillet 2013 au 31 mars 2014 sont à prendre en charge au titre des congés de maladie ordinaire, sans entacher la décision litigieuse du 8 janvier 2015 d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation.

Dès lors, le ministre appelant est fondé à soutenir que le moyen retenu par les premiers juges n'était pas de nature à entraîner l'annulation de la décision litigieuse.

SOURCE : CAA de BORDEAUX, 6ème chambre - formation à 3, 05/03/2018, 16BX02183, Inédit au recueil Lebon

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