Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Le juge des référés administratifs peut-il aussi ordonner la communication de documents à la demande d'un requérant ?

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OUI : une réponse ministérielle à la question écrite n° 22919 d’un Sénateur du 15 juin 2006 rappelle que le juge administratif, et en particulier le juge du référé précontractuel institué par les articles L.551-1 et L.551-2 du code de justice administrative, dispose en vertu de ses pouvoirs inquisitoriaux de la faculté d'ordonner aux parties de lui fournir, dans un délai déterminé, des explications ou encore des documents.

1 - Le juge administratif peut demander à l’administration et à une personne privée de produire des documents si les allégations du requérant sont sérieuses et si elles ne sont pas démenties par l’administration.

Ce pouvoir d'injonction, qui peut s'exercer aussi bien à l'égard de l'administration qu'à celui d'une personne privée, procède d'une jurisprudence ancienne et constante.

Conseil d’Etat, 1er mai 1936, Couespel du Menil, Rec. p. 485

« Considérant qu’à l’effet de rechercher si, ainsi que le soutient le sieur X, de pareilles circonstances ne se rencontrent pas en l’espèce, la 1ère sous-section de la Section du contentieux du Conseil d’Etat, chargée de l’instruction, a ordonné la production du dossier de l’intéressé, ainsi que des pièces et rapports au vu desquels a été prononcée la mise à la retraite du requérant; que le ministre a refusé de déférer à cette injonction; que ce refus est injustifié; qu’il appartient, en effet, au Conseil d’Etat, saisi d’un recours pour excès de pouvoir, d’exiger de l’administration compétente la production de tous documents susceptibles d’établir sa conviction et de nature à permettre la vérification des allégations du requérant; qu’il y a lieu, dès lors, d’ordonner, avant dire droit sur la requête du sieur X, la production des pièces et rapports réclamés au ministre de la Marine par la 1ère sous-section de la Section du contentieux dans les conditions ci-dessus précisées;… (Avant dire droit sur la requête susvisée du sieur X, est ordonnée la production par le ministre de la Marine, dans le délai de huit jours à compter de la notification de la présente décision, du dossier dudit sieur X, ainsi que de toutes pièces et tous rapports au vu desquels cet officier a été mis d’office à la retraite). »

Conseil d'Etat, Assemblée, du 28 mai 1954, 28238 28493 28524 30237 30256, publié au recueil Lebon (arrêt Barel et autres)

« (…) Qu'en cet état de la procédure la Section du Contentieux, chargée de l'instruction des requêtes, usant du pouvoir qui appartient au Conseil d'Etat d'exiger de l'administration compétente la production de tous documents susceptibles d'établir la conviction du juge et de permettre la vérification des allégations des requérants a, par délibération du 19 mars 1954, demandé au secrétaire d'Etat la production des dossiers constitués au sujet de la candidature de chacun des requérants ; qu'en ce qui concerne les sieurs X... et Y..., aucune suite n'a été donnée par le secrétaire d'Etat à cette demande ; (…) »

Ainsi, il appartient au juge d'exiger notamment de l'administration compétente « la production de tous documents susceptibles d'établir sa conviction et de permettre la vérification des allégations du requérant ».

Par exemple, la jurisprudence ouvre au juge le droit de s'assurer auprès de l'administration, par la voie administrative ou par jugement avant dire droit, du caractère communicable d'un document administratif.

Conseil d'Etat, Section, du 23 décembre 1988, 95310, publié au recueil Lebon

« D'une part, il appartient au juge administratif de requérir des administrations compétentes la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis à la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi. D'autre part, si le caractère contradictoire de la procédure exige la communication à chacune des parties de toutes les pièces produites au cours de l'instance, cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l'objet même du litige. En l'espèce, l'état de l'instruction ne permettant pas d'apprécier le bien-fondé du moyen invoqué par la Banque de France pour justifier son refus, tiré de que les rapports dont la communication est demandée par M. H. constitueraient, dans leur intégralité, et non dans les seuls paragraphes que la commission d'accès aux documents administratifs avait exclus de la communication, des documents préparant des décisions ultérieures, il y a lieu d'ordonner avant-dire-droit, tous droits et moyens des parties demeurant réservés, la production des deux rapports dont s'agit à la sous-section de la Section du contentieux chargée de l'instruction de l'affaire sans que communication de ces pièces soit donnée à M. H., pour être ensuite statué ce qu'il appartiendra sur les conclusions de la Banque de France. »

2- Si toute partie à l'instance peut demander au juge la communication d'un document se rapportant au contentieux, le juge détient, du fait du caractère inquisitorial de la procédure, un pouvoir indépendant pour décider d'y donner une suite favorable.

a - A l'égard de l'administration, le juge peut requérir la production de tous documents « à la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi ».

Conseil d’Etat, Assemblée, 11 mars 1955, Coulon, n° 34036, rec. p. 149

 « Considérant qu’il appartient aux Tribunaux administratifs, saisis d’un recours dirigé contre une décision administrative, de requérir des administrations compétentes la production de tous documents qu’ils jugent de nature à permettre la vérification des allégations du requérant, à la seule exception de ceux dont la communication est exclue par une prescription législative (…) ;

Considérant, toutefois, que si, dans le cas où il se trouve placé devant un tel refus de communication, qu’il ne lui appartient pas de discuter, le juge administratif du premier degré est tenu de ne statuer qu’au vu des seules pièces du dossier dont il est saisi, rien ne s’oppose à ce que, dans la mesure où ces renseignements lui apparaissent indispensables pour former sa conviction sur les points en litige, il prenne toutes mesures de nature lui procurer, par les voies de droit, tous éclaircissements nécessaires, même sur la nature des pièces écartées et sur les raisons de leur exclusion; qu’il a ainsi la faculté, s’il y échet, de convier l’autorité responsable à lui fournir, à cet égard, toutes indications susceptibles de lui permettre, sans porter atteinte, directe ou indirecte, aux secrets garantis par la loi, de se prononcer en pleine connaissance de cause; qu’il lui appartient, dans les cas où un refus serait opposé à une telle demande, de joindre cet élément de précision, en vue du jugement à rendre, à l’ensemble des données fournies au dossier; »

Conseil d'Etat, 8 / 3 SSR, du 28 mai 2001, 230692, mentionné aux tables du recueil Lebon

« Ces dispositions font obligation au juge des référés, sauf dans le cas où il est fait application des dispositions de l'article L.522-3 du code, de communiquer aux parties avant la clôture de l'instruction, par tous moyens, notamment en les mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire qui servent de fondement à sa décision et qui comportent des éléments de fait ou de droit dont il n'a pas été antérieurement fait état au cours de la procédure. »

b - A l'égard des parties à l'instance, le juge administratif, et notamment le juge des référés, est tenu « de [leur] communiquer avant la clôture de l'instruction, par tous moyens, notamment en les mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire qui servent de fondement à sa décision et qui comportent des éléments de fait ou de droit dont il n'a pas été antérieurement fait état au cours de la procédure. »

Conseil d'Etat, 8 / 3 SSR, du 28 mai 2001, 230692, mentionné aux tables du recueil Lebon

« Ces dispositions font obligation au juge des référés, sauf dans le cas où il est fait application des dispositions de l'article L.522-3 du code, de communiquer aux parties avant la clôture de l'instruction, par tous moyens, notamment en les mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire qui servent de fondement à sa décision et qui comportent des éléments de fait ou de droit dont il n'a pas été antérieurement fait état au cours de la procédure. »

c - Toutefois, si l'objet même du litige porte sur la communication d'un document, tel qu'une pièce se rapportant à un marché public, le recours au juge administratif n'est tout d'abord possible que si la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a été saisie préalablement à ce recours du refus de l'administration de communiquer le document litigieux conformément au dernier alinéa de l'article 20 de la loi du 17 juillet 1978 modifiée.

Si tel est le cas, le Conseil d'Etat a ensuite jugé qu'à l'occasion d'un tel contentieux, lorsque « l'état de l'instruction ne (permet) pas au juge administratif d'être éclairé sur le caractère administratif du document dont la communication est demandée (sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, il ordonne avant dire droit) la production de ce document à la (formation) chargée de l'instruction de l'affaire, sans que, compte tenu de l'objet même du litige, communication de cette pièce soit donnée (au requérant). »

Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 14/03/2003, 231661

« Lorsque l'état de l'instruction ne permet pas au juge administratif d'être éclairé sur le caractère administratif du document dont la communication est demandée sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, il ordonne avant-dire-droit la production de ce document à la formation chargée de l'instruction de l'affaire, sans que, compte tenu de l'objet même du litige, communication de cette pièce soit donnée au requérant. »

SOURCE : réponse du Ministère de la justice à la question écrite n° 22919 de Monsieur le Sénateur Jean Louis Masson (Moselle - NI), publiée dans le JO Sénat du 15/06/2006 - page 1670.

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