Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Quelles sont les spécificités d'un recours administratif préalable obligatoire par rapport à un recours administratif facultatif ?

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Le recours administratif est une demande effectuée par un administré, généralement par lettre recommandée avec accusé de réception, pour demander à l’administration de revenir sur la décision qu’elle a prise et qui lui est totalement ou partiellement défavorable. Le recours est dit « gracieux » lorsqu’il est adressé à la personne qui a pris la décision et « hiérarchique » lorsqu’il est adressé à son supérieur hiérarchique. 

L'article L.410-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : « Pour l'application du présent titre, on entend par :

1° Recours administratif : la réclamation adressée à l'administration en vue de régler un différend né d'une décision administrative ;

2° Recours gracieux : le recours administratif adressé à l'administration qui a pris la décision contestée ;

3° Recours hiérarchique : le recours administratif adressé à l'autorité à laquelle est subordonnée celle qui a pris la décision contestée ;

4° Recours administratif préalable obligatoire : le recours administratif auquel est subordonné l'exercice d'un recours contentieux à l'encontre d'une décision administrative. »

Quelles sont les spécificités d'un recours administratif préalable obligatoire par rapport à un recours administratif facultatif ?

L’auteur du recours administratif non obligatoire dispose alors d’un délai de deux mois à compter du lendemain de la notification au demandeur ou de sa publication de la décision expresse prise par l’administration ou au bout de deux mois de silence de l’administration. (Décision tacite de rejet). 

L’auteur de recours administratif préalable obligatoire dispose alors d’un délai de deux mois à compter de la date d’envoi du recours, le cachet de la poste faisant foi. 

1°) Le recours administratif préalable proroge-t-il toujours le délai de recours contentieux ?

Pour qu'il proroge le délai de recours contentieux, le recours administratif préalable doit satisfaire à trois conditions :

1ère condition : le recours administratif préalable ne proroge le délai de recours contentieux que s'il a lui-même été formé dans le délai de recours contentieux.

En effet, contrairement aux idées reçues, un recours administratif peut toujours être formé sans aucune condition de délai, pour inviter par exemple l'administration à reconsidérer sa position, mais dans ce cas il ne proroge pas les délais permettant de former ensuite un recours contentieux contre la décision tacite ou expresse devant une juridiction administrative.

Ainsi, pour que le recours contentieux soit recevable, il faut absolument que le recours administratif gracieux, hiérarchique ou de tutelle ait lui-même été formé avant l'expiration du délai de recours contentieux. (Voir en ce sens Conseil d'Etat, 13 avril 1881, Bansais, Rec. p. 431, conclusions Le Vavasseur de Précourt). A défaut, le recours contentieux est irrecevable du fait de l'expiration du délai de recours contentieux (Voir en ce sens Conseil d'Etat 11 novembre 1898, Labro, Rec. p. 692 ; Conseil d'Etat 15 décembre 1922, Michel, Rec. p. 1286 ; Conseil d'Etat, Section, 5 juin 1953, Dame veuve Meignen, Rec. P. 692 ; Conseil d'Etat 30 novembre 1994, Syndicat national du patronat moderne et indépendant de la Réunion, requêtes n° 101659 et 101660).

2ème condition : il faut que la décision implicite ou explicite prise suite au recours administratif préalable ait été déféré au juge administratif avant l'expiration du nouveau délai de recours prorogé.

Il faut que la décision implicite résultant du silence gardé par l'administration ou explicite prise à la suite du recours administratif, ait été elle-même déféré au juge de l'excès de pouvoir avant l'expiration du délai de recours contentieux prorogé par l'exercice du recours administratif préalable.(nouveau délai de deux mois). Il faut noter qu'en matière de plein contentieux et à défaut de réponse expresse de l'administration, le recours contentieux est possible à partir de deux mois et jusqu'à la limite de la prescription quadriennale. (quatre années décomptées à partir du 1er janvier de l'année suivant celle du fait générateur de la créance).

3ème condition : il faut dans l'immense majorité des cas qu'un seul recours administratif préalable ait été formé contre la décision, sauf rares exceptions.

Il faut qu'un seul recours administratif préalable ait été formé (Voir en ce sens Conseil d'Etat, Section, 27 janvier 1950, Demoiselle Ducrot, Rec. p. 65) sauf lorsqu'un texte institue une procédure préalable de recours ou il semblerait que celle-ci ne fasse pas obstacle à ce que le requérant qui n'a pas obtenu satisfaction puisse ensuite saisir le ministre d'un recours hiérarchique dans les conditions du droit commun. (Voir en ce sens Conseil d'Etat, Section, 19 novembre 1971, Ministre de la santé publique et de la sécurité sociale c/ Demoiselle Bruguière, Rec. p. 691, conclusions Rougevin-Baville ; Conseil d'Etat, Section,23 juin 1972, Syndicat des métaux C.F.D.T. - C.F.T.C. des Vosges et autres et S.A. Perrin-Electronique, Rec. p. 473, conclusions Bernard ; Conseil d'Etat, Section, 1er février 1980, Ministre du Travail c/ Société Peintures Corona, Rec. p. 59 ; Conseil d'Etat, 3 juin 1988, Ministre des affaires sociales c/ Crédit Lyonnais, requête n° 84401).

Il est à noter que le recours hiérarchique devant le ministre existe même sans texte (Voir en ce sens Conseil d'Etat, 31 juillet 1903, Picard et autres, Rec. p. 585, conclusions Romieu) et que le pouvoir hiérarchique du ministre constitue un principe général du droit (Voir en ce sens Conseil d'Etat, Section, 30 juin 1960, Quéralt, Rec. p. 413).

2°) L'appréciation de l'expiration du délai de recours administratif de deux mois se fait-elle à la date de réception du recours administratif par l'administration ou à la date d'envoi du recours administratif par l'administré ?

- Lorsque le recours administratif est facultatif : l'appréciation de l'expiration du délai de recours gracieux ou hiérarchique se fait, comme pour le recours contentieux, à la date de réception par l’administration du recours administratif. (Théorie de la réception).

La recours administratif facultatif doit donc parvenir à l'administration dans les deux mois qui suivent le lendemain de la notification ou de la publication de la décision querellée. Il faut donc anticiper les quelques jours de délai d'acheminement du courrier par La Poste, ce délai d'acheminement étant inclus dans le délai de recours de deux mois.

Il s’agit d’un délai franc (dies a quo/dies a quem), c’est à dire qu’il court à compter du lendemain du jour où est intervenu la mesure de publicité qui l’a déclenché et comprend la journée qui suit le jour où il prend fin (Exemple : notification le 1er janvier,  le délai de deux mois prend fin le 1er mars donc le délai franc cours à compter du 2 janvier et la forclusion intervient le 2 mars à minuit, le 3 mars ce sera trop tard). 

Une règle simple pour ne pas se tromper est de compter 2 mois + 1 jour à compter du déclenchement du délai. (Exemple : pour une notification le 1er janvier, la requête sera recevable jusqu’au 2 mars inclus)

L’article R.421-1 du code de justice administrative dispose que : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. » 

Pour le recours gracieux : Conseil d’Etat, 15 mars 1961 Baillot ;

Pour le recours hiérarchique : Conseil d’Etat, 11 mars 1983, Vanderschelden, n° 230505, rec. tables, p. 818.

- Lorsque le recours administratif est obligatoire, l'appréciation de l'expiration du délai de recours gracieux ou hiérarchique se fait non pas à la date de réception mais à la date d’envoi du recours à l’administration par le requérant, le cachet de la poste faisant foi selon la formule consacrée. (Théorie de l'émission).

Seuls les recours administratifs gracieux ou hiérarchiques formés dans les délais prorogent le délai de recours contentieux.

Conseil d’Etat, 10 juillet 1964, Centre médicaux pédagogique de Beaulieu, n° 60408 

La mention des délais et voies de recours concerne les réponses aux recours gracieux et hiérarchiques mais elle n’est obligatoire que lorsque l’exercice de ses recours préalables est elle-même obligatoire. 

Conseil d'Etat, 1er avril 1992, Abit ; 

L’Ordonnance 2015-1341 du 23 octobre 2015 a instauré un Code qui régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables. 

Les textes applicables :  

- Avant l’ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 : 

L’article 16 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations dispose que : « Toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document auprès d'une autorité administrative peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d'un envoi de correspondance, le cachet apposé par les prestataires de services postaux autorisés au titre de l'article L. 3 du code des postes et des communications électroniques faisant foi, ou d'un envoi par voie électronique, auquel cas fait foi la date figurant sur l'accusé de réception ou, le cas échéant, sur l'accusé d'enregistrement adressé à l'usager par la même voie conformément aux dispositions du I de l'article 5 de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives. Ces dispositions ne sont applicables ni aux procédures régies par le code des marchés publics, ni à celles relevant des articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, ni à celles pour lesquelles la présence personnelle du demandeur est exigée en application d'une disposition particulière. Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. » 

- Après l’ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 : 

L’article L.112-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : «  Toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document auprès d'une administration peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d'un envoi de correspondance, le cachet apposé par les prestataires de services postaux autorisés au titre de l'article L.3 du code des postes et des communications électroniques faisant foi.
Ces dispositions ne sont pas applicables :
1° Aux procédures d'attribution des contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation ;
2° Aux procédures pour lesquelles la présence personnelle du demandeur est exigée en application d'une disposition particulière. »

L’article L.110-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : « Sont considérées comme des demandes au sens du présent code les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées à l'administration. »

JURISPRUDENCE : à propos de la commission de recours des militaires :

Conseil d'Etat, 7ème et 2ème sous-sections réunies, du 27 juillet 2005, 271916, publié au recueil Lebon 

« Constituent des demandes au sens des dispositions de l'article 16 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration, qui sont applicables aux relations entre l'administration et ses agents, les recours administratifs dont l'exercice constitue un préalable obligatoire au recours contentieux, au nombre desquels figurent les recours formés par les militaires, devant la commission de recours des militaires, à l'encontre d'actes relatifs à leur situation personnelle. »

3°) Faut-il demander l’annulation contentieuse de la décision initiale et de la décision expresse ou tacite de rejet du recours administratif ?

Cela dépend du caractère facultatif ou obligatoire du recours administratif préalable. 

-  Lorsque le recours administratif est facultatif, il faut demander au tribunal administratif l’annulation contentieuse des deux décisions (la décision initiale et la décision expresse ou tacite de rejet du recours administratif.) 

Conseil d'État, 5ème / 4ème SSR, 11/02/2015, 369110 

« Lorsqu'une décision administrative prise illégalement donne lieu à un recours administratif ne constituant pas un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux et que l'autorité saisie de ce recours prend légalement une décision expresse par laquelle elle maintient la mesure contestée, la décision initiale ne se trouve pas régularisée.

En revanche, la décision prise sur le recours administratif a pour effet de permettre l'application de la mesure à compter de la date à laquelle cette décision entre en vigueur. » 

Conseil d’Etat, Section, 1er octobre 1954, Dame Bonnetblanc, n° 13253, 19396, p. 491 ; 

Conseil d'Etat, Assemblée, du 23 avril 1965, 60721, publié au recueil Lebon

« Décision prise sur recours hiérarchique. Vice de celle-ci sans effet sur la décision hiérarchique. Substitution par le ministre d'un motif légal au motif illégal retenu par l'autorité subordonnée pour fonder une mesure disciplinaire. Légalité de la sanction au jour de la décision du ministre. L'illégalité dont était entachée la décision de l'autorité ayant pris à l'encontre d'un agent une mesure disciplinaire n'entraîne pas nécessairement l'annulation de la décision par laquelle le ministre a rejeté le recours hiérarchique dont l'agent l'a saisi aux fins de retrait de la sanction le frappant. Le ministre pouvait légalement en substituant un nouveau motif au motif illégal retenu par l'autorité subordonnée, maintenir pour compter du jour de sa propre décision, la sanction infligée par l'agent.
Le ministre peut substituer un motif légal au motif illégal retenu par l'autorité disciplinaire subordonnée. Le vice dont était entaché la première décision n'entraîne pas nécessairement l'illégalité de la seconde. »

Conseil d'État, 5ème / 4ème SSR, 11/02/2015, 369110

« Lorsqu'une décision administrative prise illégalement donne lieu à un recours administratif ne constituant pas un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux et que l'autorité saisie de ce recours prend légalement une décision expresse par laquelle elle maintient la mesure contestée, la décision initiale ne se trouve pas régularisée. En revanche, la décision prise sur le recours administratif a pour effet de permettre l'application de la mesure à compter de la date à laquelle cette décision entre en vigueur. »

-  Lorsque le recours administratif est obligatoire, il faut demander au tribunal administratif uniquement l’annulation contentieuse de la seconde décision qui se substitue juridiquement à la décision initiale. 

Conseil d'Etat, 2 / 6 SSR, du 5 janvier 1979, 05499, publié au recueil Lebon 

« Décision du Ministre de la Santé du 11 juillet 1975 rejetant le recours formé contre une décision préfectorale refusant d'autoriser l'extension d'une polyclinique. Cette décision prise par le Ministre en vertu de l'article 34 de la loi du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière s'est substituée rétroactivement à celle prise par le Préfet. Les conclusions présentées le 18 septembre 1975 devant le Tribunal administratif et tendant à l'annulation de la décision du Préfet étaient donc sans objet et, par suite, irrecevables. »

André ICARD
Avocat au Barreau de Paris
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