Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

La minute intelligente de maître ICARD – 2ème épisode

Cet article est gratuit ! vous pouvez le consulter dans son intégralité
Toute la jurisprudence est disponible sur www.juripredis.com

Je poursuis ma série de chroniques consacrée à ces grandes « Dames » qui ont contribué à forger la jurisprudence du Conseil d’Etat en vous parlant aujourd’hui d’une demoiselle célèbre, Mademoiselle Mimeur, dont l’intervention remarquée devant le juge administratif a permis de définir le fameux principe de la responsabilité de l'administration en cas de faute personnelle d’un agent public non dépourvue de tout lien avec le service.

En l’espèce, le sieur Dessertenne qui conduisait un camion militaire a perdu le contrôle de celui-ci et vint heurter le mur de la maison appartenant à la demoiselle Mimeur.

Mais le conducteur routier s'était détourné de son itinéraire normal pour rendre visite à sa famille et désormais, grâce à la Demoiselle Mimeur, l'administration doit indemniser le préjudice causé par un agent de l'administration qui a commis une faute personnelle à l'occasion du service, s'agissant d'un conducteur de l'administration, même si celui-ci s'est détourné de son itinéraire de mission normal pour « boire un godet », pour rendre visite à sa petite amie, pour aller chez son coiffeur ou pour jouer aux courses.

La demoiselle Mimeur  qui demeurait à l’époque à Lusigny-sur-Ouche Côte-d'Or (120 habitants en 1946) demandait au ministre des armées de l’époque réparation pour le préjudice lié aux dégradations du mur de son pavillon.

Il ne vous aura pas échappé au vu de la date de l’arrêt, que les ministres des armées concernés par ce dossier furent du 11 septembre 1948 - 28 octobre 1949 : Paul Ramadier (1888-1961) et du 28 octobre 1949 - 12 juillet 1950 : René Pleven (1901-1993).

Chers lecteurs, je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler vos cours de géographie du cour moyen deuxième année, où vous avez dû apprendre que l'Ouche est une rivière non navigable, longue de 94,5 km, qui prend sa source à Lusigny-sur-Ouche et qui coule doucement dans de jolis paysages bucoliques appelés la « Suisse Bourguignonne. », pour finalement se jeter dans le lac Kir à Dijon.

Je profite de l’occasion qui m’est donné pour saluer l’ensemble de mes confrères bourguignons exerçant dans une superbe région.

Pour en revenir à notre propos, le ministre des Armées de l’époque a refusé d’indemniser la demoiselle Mimeur au motif que le camion militaire était, lors de l'accident, utilisé par son conducteur « en dehors du service et pour des fins personnelles » et qu'ainsi « la responsabilité de celui-ci serait seule susceptible d'être recherchée pour faute lourde personnelle détachable de l'exécution du service. »

Il résulte de l'instruction du dossier et notamment des déclarations mêmes faites par le sieur Dessertenne lors de l'enquête de gendarmerie que, lorsque l'accident s'est produit, le sieur Dessertenne, qui avait reçu mission de livrer de l'essence à Mâcon, était sur le chemin du retour, mais suivait la route nationale n° 470, qui n'était pas la route directe prise par lui lors du trajet d'aller ; qu'il ne s'était ainsi détourné de cette dernière route que pour passer à Bligny-sur-Ouche, où se trouvait sa famille, c'est-à-dire pour des fins strictement personnelles.

Pourtant dans son arrêt en date du 18 novembre 1949, le Conseil d'État a considéré que si en s'écartant de son itinéraire normal pour des raisons indépendantes de l'intérêt du service, le sieur Dessertenne a utilisé le véhicule de l'Etat pour des fins différentes de celles que comportait son affectation, l'accident litigieux survenu du fait d'un véhicule qui avait été confié à son conducteur pour l'exécution d'un service public, ne saurait, dans les circonstances de l'affaire, être regardé comme dépourvu de tout lien avec le service.

Il suit de là qu'alors même que la faute commise par le sieur Dessertenne,  revêtirait le caractère d'une faute personnelle, le ministre des armées n'a pu valablement se prévaloir de cette circonstance, pour dénier à la demoiselle Mimeur tout droit à réparation.

Ainsi, par la décision Demoiselle Mimeur, le Conseil d'État  admis pour la première fois que la responsabilité de l'administration peut être engagée lorsque la faute personnelle de l'agent n'est pas dépourvue de tout lien avec le service.

En résumé, dès lors que le véhicule avait été confié à son conducteur pour l'exécution d'un service public, l'accident imputable à une faute de ce conducteur ne saurait être regardé comme dépourvu de tout lien avec le service et engage la responsabilité de l'administration à l'égard de la victime, même s'il s'est produit alors que ledit conducteur s'était écarté de son itinéraire normal pour des fins strictement personnelles. L'administration peut seulement se retourner contre le conducteur au cas où la faute commise par celui-ci constitue une faute personnelle entraînant sa responsabilité.

SOURCE : Conseil d'Etat, Assemblée, du 18 novembre 1949, 91864, publié au recueil Lebon

Toute la jurisprudence est disponible sur www.juripredis.com

Chiffres clés
+ de 25 ansd’expérience
Une véritable base de données spécialisée dans le droit public
+ de 5000questions réponses
Paiement
100% sécurisé
+ de 200modèles téléchargeables