Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Maître ICARD fait son cinéma avec l'arrêt du Conseil d’Etat « Société Les films Lutetia » !

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Il est vrai que jeune étudiant en droit, j’allais souvent au cinéma, à mon époque il y avait d’ailleurs beaucoup de salles de cinémas et des petits cinémas « de quartiers ». Quelle ambiance … dans la pénombre une « ouvreuse » se faufilait gracieusement, entre les fauteuils, vendant ses friandises, Ice-Creams, cacahuètes, pistaches et roudoudou, au risque de déranger quelques couples amoureux qui, profitant de la semi obscurité de la salle, dans le halo du projecteur et des réclames, s’embrassaient à pleines bouches tendrement enlacés. Mais contrairement à certains que je ne dénoncerais pas car ils exercent toujours la profession aujourd’hui, je n’y allais pas pour la « bagatelle » mais uniquement par passion naissante pour le droit administratif. En effet, un jeune assistant au visage glabre, très pâle, maigrichon, le dos vouté et le visage plein d’acnés, n’avait rien trouvé de mieux que de nous donner à faire le commentaire de l’arrêt du Conseil d’Etat, du 18 décembre 1959, dit « Société Les films Lutetia ». Je savais que le droit administratif menait à tous, mais je ne savais pas qu’il me conduirait directement dans une salle obscure, par un bel après-midi d’automne, je précise bien sûr que ce n’était pas à Nice (je suis désolé Marie-Georges), mais à bien à Aix en Provence, où son maire était un peu moins prude et chaste que le maire de Nice de l’époque pourtant juriste décomplexé. Je voulais donc vérifier sur place, si la projection du film « Le feu dans la peau » était « susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou d'être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l'ordre public. »

Après avoir extorquer un petit billet à ma mère, au motif que je devais soit disant acheter le traité  de droit administratif - tome 1 : l'organisation administrative, la justice, la police, les services publics, de André de Laubadère, je me suis engouffré  dans le hall du cinéma Rex, engoncé dans ma vieille parka bleu marine de marin américain achetée au stock de la même nationalité à Toulon, afin d'acheter le précieux sésame qui me permettrait peut-être d’obtenir une bonne note à mon commentaire d’arrêt.
Et puis, au cas où je resterais sec au niveau du commentaire en droit public, je pourrais toujours meubler en racontant le film …

A stratégie et impasse quand vous tenez un étudiant besogneux !

Mais venont en aux faits de la cause. En peu de mots, je vais vous faire le « pitch » du film « Le feu dans la peau ». Il s’agit de l’histoire de Thérèse (Gisèle Pascal), venue de la ville, qui a épousé le triste Louis Raboux (Michel Ardan), paysan violent qui trouve la mort dans des conditions mal éclaircies. Thérèse reste à la ferme auprès de Célestin (Raymond Pellegrin) qui l'aime, mais n'ose le dire, par timidité. L'arrivée de Pierre (Philippe Lemaire), qui connaissait Louis (Michel Ardan) et qui a quelque vol à se reprocher, complique la situation. Jalousie de Célestin que la servante Julia (Nadine Basile) essaie de consoler. Amour passionné de Thérèse et Pierre. La police arrête le jeune homme et Célestin traque Thérèse qui tombe du toit. Célestin jette le corps dans un gouffre, voit reparaître Pierre. De rage, il se précipite lui aussi dans le ravin d'où sort Thérèse, nouvelle miraculée, prête à se jeter dans les bras de son amant.

Je me dois de vous avouer humblement qu’aujourd’hui, je n’en ai pas gardé un souvenir impérissable, car je me suis endormi après une demi-heure de projection, et mon seul souvenir du film est le chien Mylord …

Mais si vous voulez visionner ce film, vous pouvez acheter le DVD d’occasion pour la modique somme de 17 euros en très bon état.

Mais je dois dire que ça ne vaut pas plus ... Enfin, si vous aimez, pourquoi pas ?

Mais venons-en au droit administratif et à l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 décembre 1959, « Société Les films Lutetia », que l’assistant de TD de l’époque, qui doit être professeur agrégé des Universités à la retraite aujourd’hui, (tant mieux), nous avait demandé de commenter.

En l’espèce, le maire de Nice de l’époque, Monsieur Jean Médecin, avocat de son état, avait pris un arrêté en date du 3 décembre 1954 interdisant la projection dans cette ville du film « Le feu dans la peau », pourtant revêtu du visa d'exploitation, qui venait de sortir en salles le 9 août 1954, en se fondant sur l'immoralité dudit film.

Cependant, il avait été institué par l'ordonnance du 3 juillet 1945, un visa d'exploitation délivré, au plan national, par le ministre chargé de l'information, sur avis de la Commission de contrôle, ayant eu notamment pour objet de permettre d'interdire la projection de films contraires à la décence ou aux bonnes mœurs.

Mais cette institution n'a pas eu pour effet de priver les maires de la possibilité d'interdire, en vertu des pouvoirs qu'ils tiennent de l'article 97 de la loi du 5 avril 1884, les films dont la projection serait, soit en raison des troubles sérieux qu'ils pourraient provoquer, soit en raison de leur caractère immoral et de circonstances locales, contraire à l'ordre public.

Par un jugement en date du 11 juillet 1955, le Tribunal administratif de Nice a rejeté les demande de la société « Les Films Lutétia » et du « Syndicat français des producteurs et exportateurs de films », tendant toutes les deux à l'annulation, pour excès de pouvoir, de l'arrêté en date du 3 décembre 1954 par lequel le maire de Nice a interdit la projection du film « Le feu dans la peau ».

Dans son arrêt en date du 18 décembre 1959, le Conseil d’Etat rappelle, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, qu'en vertu de l'article 1er de l'ordonnance du 3 juillet 1945 la représentation d'un film cinématographique est subordonnée à l'obtention d'un visa délivré par le ministre chargé de l'information.

Aux termes de l'article 6 du décret du 3 juillet 1945, portant règlement d'administration publique pour l'application de cette ordonnance, « le visa d'exploitation vaut autorisation de représenter le film sur tout le territoire pour lequel il est délivré. »

Si l'ordonnance du 3 juillet 1945, en maintenant le contrôle préventif institué par des textes antérieurs a, notamment, pour objet de permettre que soit interdite la projection des films contraires aux bonnes mœurs ou de nature à avoir une influence pernicieuse sur la moralité publique, cette disposition législative n'a pas retiré aux maires l'exercice, en ce qui concerne les représentations cinématographiques, des pouvoirs de police qu'ils tiennent de l'article 97 de la loi municipale du 5 avril 1884.

Un maire, responsable du maintien de l'ordre dans sa commune, peut donc interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d'un film auquel le visa ministériel d'exploitation a été accordé mais dont la projection est susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou d'être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l'ordre public.

Aucune disposition législative n'oblige le maire à motiver un arrêté pris par lui en vertu de l'article 97 susmentionné de la loi du 5 avril 1884.

L'arrêté attaqué, par lequel le maire de Nice a interdit la projection du film « Le feu dans la peau », constitue une décision individuelle.

Dès lors, le moyen tiré par les requérants de ce que le maire aurait excédé ses pouvoirs en prenant, en l'espèce, un arrêté de caractère réglementaire est, en tout état de cause, inopérant.

Dans son arrêt en date du 18 décembre 1959, le Conseil d’Etat considère que le caractère immoral du film susmentionné n'étant pas contesté, il résulte de l'instruction que les circonstances locales invoquées par le maire de Nice étaient de nature à justifier légalement l'interdiction de la projection dudit film sur le territoire de la commune. Le détournement de pouvoir allégué ne ressortant pas des pièces du dossier, il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté la demande de la Société « Les Films Lutetia » tendant à l'annulation de l'arrêté contesté du maire de Nice.

Ainsi les requêtes de la Société « Les Films Lutetia » et du Syndicat français des producteurs et exportateurs de films sont rejetées.

SOURCE : Conseil d'Etat, Section, du 18 décembre 1959, 36385 36428, publié au recueil Lebon 

Alors, bien sûr, je vous devine, vous mourrez d’envie de me demander qu’elle a été ma note à ce commentaire d’arrêt ?

Afin de ne pas complexer inutilement les avocats pénalistes, peu habitués à avoir de bonnes notes aux commentaires d’arrêts en droit administratif, je ne donnerai ma note qu’en mode privé, et uniquement sur demande formulée par courriel, SMS ou appel téléphonique.

Mais je dirais, en toute humilité, que j’avais bien préparé mon affaire, ne pensez-vous pas ?

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