Article écrit par Maître Muriel BODIN, avocate au Barreau de Paris.
La réponse à cette question est variable selon sa sensibilité, selon qu’on reste dans l’orthodoxie politique et administrative du moment ou si on y est opposé(e). Mais si on veut bien rester sur le plan purement des principes juridiques, le droit permet d’éviter que la sensibilité politique ne se mêle des libertés notamment médicales. Il en va de la perenité du système de santé d’une part et de la santé publique d’autre part.
La position du ministère de la Santé, immédiatement et exceptionnellement concrétisée juridiquement le jour même, est que la liberté de prescription est limitée concernant un médicament, le Plaquénil© et une pathologie, le COVID 19. Pourtant, il existe bel et bien un dispositif juridique qui permet la prescription du Plaquénil©, médicament qui contient de l’hydroxychloroquine dans le cadre de son AMM ou en dehors de son AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) sous certaines conditions réglementairement fixées.
La lettre des textes dans leur agencement complexe permet de comprendre la difficulté des prescripteurs et des patients quand les pouvoirs publics se mêle de médecine, frôlant même, c’est une boutade, l’exercice illégal de la médecine, nonobstant la qualité de médecin du dit ministre. Un rappel des textes et de leur articulation est donc nécessaire.
Deux décrets des 25 et 26 mars 2020 ont « autorisé », dans certaines conditions, la prescription de l’hydroxychloroquine hors AMM. Ces textes ont été adoptés sur le fondement de l’article L3131-15 9° du CSP en vertu duquel le Premier ministre peut « prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ». Ils posent des règles présentées comme dérogeant à l’article L5121-8 du CSP qui impose, pour tout médicament, l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM).
L’article 19 du décret du 11 mai 2020 reprend littéralement ce dispositif : « Par dérogation à l’article L. 5121-8 du code de la santé publique, l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ritonavir peuvent être prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints par le covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique et, en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe ».
Cette disposition, visant les établissements de santé, ne peut donc être invoquée par les praticiens intervenant en cabinet. Le texte prend d’ailleurs soin de préciser que les pharmacies d’officine devront s’en tenir aux indications de l’AMM du Plaquénil©. Reste à savoir, entre parenthèse, comment cette exigence est mise en œuvre en pratique sans violer le secret médical puisqu’il faut donc que le médecin prescripteur appose l’indication de la maladie pour permettre au pharmacien de vérifier si l’ordonnance rentre dans le cadre des décrets sus visés. Fermons la parenthèse que nous aurons l’occasion de développer dans un autre article.
L’interrogation principale porte essentiellement sur cette pseudo-dérogation à une obligation d’AMM. En effet, le Plaquénil © dispose déjà d’une AMM visant différentes pathologies (polyarthrite rhumatoïde, lupus…). En prescrivant ce médicament à des patients atteints du Covid-19, la prescription ne se fait pas sur la base d’une utilité du médicament doté d’une AMM, mais bien au-delà des indications thérapeutiques prévues par cette dernière. Ce cas de figure est prévu précisément par une autre disposition du CSP : l’article L.5121-12-1.
En abrogeant l’article 19 du décret du 11 mai 2020, le décret du 26 mai 2020 ferme, certes, la parenthèse d’autorisation expresse d’utilisation de l’hydroxychloroquine pour traiter des patients atteints du Covid-19 et se trouvant dans des états critiques. Mais il ne met pas en cause ce fameux article L.5121-12-1 du CSP qui offre un support juridique à la prescription d’hydroxychloroquine sous forme de Plaquénil© aux patients souffrant de Covid-19. Sous réserve, évidemment que les conditions que pose ce texte, soient remplies.
Ce texte consacre la liberté de prescription du médecin dès lors que ce dernier respecte certaines précautions élémentaires : soit il s’agit d’une autre utilisation que celle prévue par l’AMM, soit il existe une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) établie par l’ANSM, soit il n’existe pas «d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation» et « sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient ». En l’espèce, nous sommes dans le 3ème cas de figure, quel que soit la chronologie suivie par l’Administration pour ouvrir, puis fermer puis rouvrir et enfin refermer la porte de la liberté de prescription des médecins généralistes. En réalité, article L.5121-12-1 du CSP fonde la liberté du «prescripteur», donc tout médecin, quel que soit son cadre d’exercice dans le cadre du COVID 19.
En conclusion et n’en déplaise aux tenants d’une impeccable orthodoxie administrative réglementaire, en l’état du droit en vigueur, le médecin a gardé intacte sa liberté de prescription et donc la possibilité de prescrire du Plaquénil© pour des pathologies non visées par son AMM et sans RTU, sur le fondement de l’article L.5121-12-1 du CSP.
On ne peut tenir pour exclu du champ d’application de cette disposition le cas des patients atteints du Covid-19, le décret du 26 mai 2020 ne contenant aucune indication explicite en ce sens.
Cette prescription est bien subordonnée à des conditions laissées à l’appréciation du médecin fondée sur sa liberté de prescription et sur la responsabilité qui est la sienne.
Article écrit par Maître Muriel BODIN, avocate au Barreau de Paris.