Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Quiproquo téléphonique au petit matin à Villejuif ?

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7 heures 30 : Villejuif dort encore, moi aussi, tout à coup le téléphone sonne, je m’extirpe difficilement de ma couche tiédie par une bien trop douce nuit d’hiver, je me prends les pieds dans mon pyjama rayé trop grand offert par ma mère pour Noel 1985, je m’empare de cet insaisissable combiné téléphonique portatif qui me glisse entre les mains comme une savonnette « Cadum ». Je parviens enfin à décrocher, une jolie voix de femme me dit : « Allo, suis-je bien au cabinet de Maître ICARD, l’avocat » ?

De l’humeur massacrante  de l’avocat réveillé trop tôt, je lui réponds sèchement « Si vous avez composé le 01 46 78 76 70, il y a de grande chance que ce soit moi en effet ! »

Et je rajoute : « Surtout à cette heure, il y a très peu de chance que je sois en audience ! »

Elle me dit : « Je suis fonctionnaire hospitalier et je vous téléphone pour que vous vous occupiez de mon dossier »

Je me dis : « On a au moins un point commun, moi je suis patient hospitalier »

Elle ajoute : « En plus, il paraît que vous êtes le meilleur ! »

Pas faux, mais tout de même un peu dans la « mouise » le meilleur … me dis-je insensible au propos laudatif de la belle inconnue. 

Un peu déstabilisé tout de même, je me risque à ajouter avec cet humour qui fait une partie de mon charme tellement apprécié de tous (ainsi que ma modestie légendaire qui n’a d’égale que ma plastique irréprochable) : « Je me doute que vous ne m’appelez pas pour faire un tennis chère madame ! »

Elle rit et me dit : « je vous ai vu sur Internet ! »

Je lui réponds toujours un tantinet ironique et sûr de moi à l’affût  d’un très hypothétique compliment  féminin de plus en plus rare  à mon âge : « Ah oui, et comment m’avez-vous trouvé ... me passant machinalement une main dans les cheveux dans un réflexe de latin lover sur le retour prêt à conclure ? »

Elle me répond « En tapant avocat droit public sur Google » et elle enchaîne immédiatement  avec le pragmatisme de la femme uniquement intéressée par les compétences d’un homme « Vous vous y connaissez en droit des fonctionnaires ? »

Je lui réponds modestement (je vous l’avais dit) : « un petit peu ? ».

Elle ajoute : « Et en droit des stagiaires et en titularisation ? »

Je lui réponds : « pareil  un petit peu ? ».

Je prends enfin l’initiative de la communication téléphonique au bout de 5 minutes : « Quel est l’objet de votre appel, quel est votre problème car je suppose que vous en avez-un puisque vous me téléphonez ? »

« Tout juste » me répond-t-elle avec un accent parigot tout droit sorti d’un film dialogué par Michel Audiard.

Elle ajoute : « Je suis adjoint administratif de 2ème classe stagiaire depuis un an et je travaille au bureau des admissions du centre hospitalier régional de France à Perpette les Oies et ma chef, Madame Mouchaboeuf  qui me fait du harcèlement moral, refuse maintenant de me titulariser … (bruit de pleurs et de nez qui coule et qui renifle) et je vais être licencié dans huit  jours, vous vous rendez compte, …huit jours ! ».

Elle enchérit : « Je veux porter plainte au tribunal administratif contre l’adjoint des cadres hospitalier Madame Mouchaboeuf. Faut qu’elle paie pour ce qu’elle m’a fait … Faut qu’elle paie pour ce qu’elle m’a fait … Faut qu’elle paie pour ce qu’elle m’a fait … (Sniff, Sniff…)»

Je pense dans un accès de machisme: « Ah les femmes entre-elles ? »

Je me risque à lui dire : « Vous savez Madame, on ne porte pas plainte au tribunal administratif, on demande seulement une annulation d’une décision ou des indemnités réparatrices ! »

Elle répond : « Je m’en fous, je veux quand même faire un référé ! »

Je balbutie mes connaissances de base « il faut qu’il y ai urgence et puis un doute sérieux … ! »

Elle ne veut pas m’entendre et me coupe en me disant : « J’ai lu dans un de vos articles sur Internet que c’est possible ! »

Je me dis : « Il y a des fois où je ferais mieux de ne rien écrire du tout » et puis je termine ma réflexion profonde par un énorme bâillement à me désarticuler le maxillaire inférieur, certainement dû à mon réveil brusque et bien trop matinal pour moi. (En effet, je suis habitué depuis 43 ans à ce que ma femme me réveille en douceur en me susurrant des mots d’amour dans l’oreille gauche).

Je me risque donc à lui dire entre deux, « Sniff… Sniff » : « Je ne peux rien vous dire tant que je n’ai pas lu votre dossier pour savoir s’il est possible de faire quelque chose avec une chance raisonnable de succès »

Elle me coupe en disant : « Il est gagné d’avance mon dossier Monsieur, c’est du tout cuit mon affaire, c’est du cousu main, c’est du caviar, c’est pas de la daube, j’ai des biscuits, c’est du 100 % , nickel chrome, garanti sur facture … il faut très vite déposer un référé ! »

Ah ces clients, me dis-je, tous les mêmes !

Bien que très impressionné par cette litanie culinaire de fin gourmet digne de « top chef » , je ne voudrais quand même pas me risquer, pour rester dans l’alimentaire, à « boire le bouillon » au tribunal…

Mais elle ajoute : « D’ailleurs, je l’ai montré à ma grande sœur Josette sœur qui m’a dit aussi que c’était bon ! »

J’ai le plaisir de constater que Josette aime les mêmes plats que moi ! 

Je lui demande : « Elle est avocate ou juriste votre sœur ? »

Elle répond : « Non elle est caissière chez Carrefour mais elle s’y connait, mais elle a un bac pro secrétariat et elle est déléguée syndical de sa boite ! »

Je me dis admiratif : « Eeeeffectivement, pas bête du tout la frangine ! »

Bon sang, qu’est-ce que j’ai faim, il est déjà 7 heures 45 et le café difficilement buvable de Marie Jeanne fume encore sur la nappe de la table de la cuisine imprimée de cartes de la Guadeloupe. (J’adore la Guadeloupe pour des raisons très personnelles).

Mon estomac me tiraille toujours et glougloute de plus en plus comme la bonde encombrée d’un vieil évier avant son traitement au déboucheur liquide « Destop ».

Soudain, une voie féminine avec l’accent de Toulon (ou plutôt de La Seyne Sur Mer) s’élève de la cuisine : « Mais qu’est-ce que tu fous ce matin, tu vieiiiiiins pas déjeuner, tu as pas faiiiiiiiim ce matiiiiing ? »

C’est Marie-Jeanne qui vient de se lever, ma chérie depuis ... 43 ans, la femme de ma vie … enfin vous avez compris ma femme, mon épouse quoi.

Je lui chuchote gêné par la communication téléphonique en cours : « Je suis au téléphone … ! »

Je lui répète à voix basse: « Je suis au té-lé-pho-ne… ! » et je répète inlassablement : « Je suis au té-lé-pho-ne… ! » « Je suis au té-lé-pho-ne… ! » …

Et l’autre au bout du fil me dit la voix encore plus basse accentuant comme moi chaque syllabe : « Moi aus-si, je su-is tou-jours-là ! »

Je réponds alors  à ma femme : « J’arrive ! » (Pour le déjeuner qui refroidit)

La stagiaire au téléphone me répond : « Ah c’est très rare un avocat aussi disponible que vous ! »

J’essaye de lui explique mais …

Mon portable se met tout à coup à sonner.

Je mets le haut-parleur du téléphone fixe pour rester en contact avec la stagiaire et je décroche mon aussitôt mon portable : « Allo, Maître Isabelle Jolie, de Nice, je voudrais parler à mon confrère Icard ? »

Je luis répond les joues rosies par l’émotion (je suis toujours assez impressionné quand un ou une confrère m’appelle, mais ça me fait toujours très plaisir car je me sens un peu isolé dans le fin fond de ma banlieue parisienne) : « C’est moi consœur, que me vaut le plaisir de vous entendre ? »

Elle me dit « Comment allez-vous ? »

Je lui réponds « ça va »

Je lui demande dans un tutoiement inattendu essentiellement ancré dans la confraternité  plutôt que dans l’intimité de nos relations naissantes : « Et toi, comment vas-tu ? »

La stagiaire au téléphone me répond : « T’as raison, on se tutoie c’est plus sympa comme ça ! »

Ma femme restée dans la cuisine rétorque : « Pourquoi tu me demandes si ça va puisqu’on s’est déjà vu il y a 5 minutes dans la cuisine ! »

Elle ajoute en riant : « Tu ne deviendrais pas un peu Alzheimer par hasard ? »

Elle conclut en disant : « Tu ferais mieux de venir déjeuner au lieu de tchatcher au téléphone ! »

Je me suis déjà fait traiter de « baveux » mais jamais de « tchatcheur ».

Je lui réponds : « Je parle à Isabelle ! »

Et la stagiaire  me dit : « Mon prénom est Céline pas Isabelle »

« OK j’ai compris ! » lui dis-je désapointé

Et Isabelle me dit : « Tu as compris quoi ? »

Et elle ajoute immédiatement, « André, puisque je te tiens, j’ai une petite question de droit public à te poser ? »

Mon estomac toujours vide  et perclus de crampes se noue soudain car comme moi il se méfie toujours des « petites questions » des clients, des confrères et de mon beau-frère Antoine, qui nécessitent souvent de long développement précédés de très longues heures de recherche.

La belle Isa me dit d’une voie sensuelle qui ferait craquer même un magistrat du siège : « Peut-on faire une demande reconventionnelle en indemnisation dans un mémoire en défense d’un recours en annulation pour excès de pouvoir »

Je ne peux surtout pas décevoir la belle Isabelle alors je lui répond tout de go, avec l’assurance de l’étudiant en droit qui sait répondre à une question tirée au sort de son oral de partiel de contentieux administratif  : « Impossible, il faut faire une requête à part et la jurisprudence du Conseil d’Etat du 24 novembre 1967 considère qu’en raison de la nature particulière du recours pour excès de pouvoir, des conclusions reconventionnelles tendant à ce que le requérant soit condamné à payer à une personne mise en cause des dommages et intérêts pour procédure abusive ne peuvent être utilement présentées dans une instance en annulation pour excès de pouvoir. »

Isa certainement impressionnée me répond d’une voix suave et langoureuse : « Merci André, prends bien soins de toi, je t’eeeembrasse … à plusss ! » 

La stagiaire toujours au bout du fil : « Moi aussi je t’embrasse, mais avant est-ce que mon dossier t’intéresse et est-ce que tu acceptes l’aide juridictionnelle, est-ce que tu le prends ? »

Je lui réponds déontologiquement : « Ce n’est pas mon critère l’intéressement pour un dossier ou un client ! »

Bien que je pense au fond de moi que je préfèrerais avoir dans ma clientèle l’Archevêque de Paris où le Secrétaire perpétuel de l’Académie Française au lieu d’une stagiaire qui a tout de même réussi l’exploit de se faire éjecter d’une administration qui pourtant ne lui demandait que de fermer sa grande g….

Mais je me ravise immédiatement dans la mesure où les deux personnalités en question ne produisent sans doute à eux deux que très peu de contentieux de droit public.

Quant à l’aide juridictionnelle, animé par l’esprit de lucre qui anime tous ces riches avocats commis d’office qui interviennent essentiellement dans le secteur assisté, qui roulent en Dacia Sandero et qui passent leurs vacances à l’hôtel Formule 1 de la Bourboule, je lui réponds : « Avant de répondre, je regarde les nombres d'uv pour un référé administratif sur mon barème ».

PS : j’en ai toujours une copie pliée en 4 dans la poche de poitrine de mon pyjama rayé car ce barème indigent me rend tellement triste que je m’endors tout de suite.

Elle me dit : « C’est quoi une uv ? »

Je lui réponds : « C’est un nombre d’unité de valeur forfaitairement accordé par type de dossier qui permet à l’administration d’indemniser un avocat à hauteur de 23 % de ce que lui a coûté le traitement du dossier aidé »

Elle me dit : « Mais alors comment tu fais pour vivre si tu bosse à perte ? »

Elle enchérit : « Tu n’as qu’à faire la grève »

Je lui réponds : « Tu as déjà vu un avocat faire la grève toi ? »

Elle me dit : « Tu as raison à part les paysans et les taxis, aujourd’hui tout le monde s’écrase »

Je me livre ensuite à un calcul sommaire :

« XIV.3. Référé suspension, référé liberté, référé conservatoire : 8 UV »

Je prends ma calculette solaire CANON, soit 26,50 euros depuis janvier 2016 (mon Barreau a été classé dans la première tranche) x 8 UV = 212 euros pour un référé suspension.

Je me dis ensuite : « Pour un référé suspension, il y a environ 10 heures de travail + 2 heures pour l’audience avec le trajet + 50 euros de frais divers soit au total 75 euros par heure x 12 heures = 900 euros + 50 euros 950 euros ».

Je lui réponds : « Je ne peux pas prendre ce dossier à l’aide juridictionnelle d’autant plus que le tribunal administratif est à Cergy-Pontoise à l’opposé de chez moi et qu’il y a au moins 3 heures de transport  aller-retour. »

En plus, j’aurai perdu 738 euros par rapport à mon coût de revient.

Et ma femme dans la cuisine : « C’est normal, ça devais t’arriver, tu laisses toujours traîner ta sacoche et ton portefeuille n’importe où ! »

La stagiaire a raccroché dépitée.

Je vais enfin pouvoir boire mon café, mais il est désormais aussi froid que le cœur des créanciers qui m’étouffent dans l’indifférence générale.

Ma femme est déjà partie et elle me manque déjà.

Et j'ai refusé d’aider une personne en difficulté parce qu'elle était sans ressource.

Aujourd'hui, j’ai l’impression d’avoir trahi mon serment d’avocat, mais comprenez-moi  je suis assigné en redressement judiciaire par l’URSSAF le 21 mars 2016 à 14 heures au TGI de CRETEIL, JBS CANON refuse de dépanner mon copieur neuf tombé en panne, alors je pense que la faim peut parfois justifier les moyens.

Vous me croyez si je vous dis qu’il y a des matins comme ça où rien ne va ?

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