Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Que faire quand on n’a pas exercé de recours en annulation pour excès de pouvoir dans le délai requis ?

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EN BREF : il reste possible, dans le délai de la prescription quadriennale, de faire un recours indemnitaire en responsabilité « 2ème chance ». Nombreux justiciables ou avocats non spécialisés en droit public, pensent que seul un recours en annulation pour excès de pouvoir (REP) contre la décision de l’administration qu’ils estiment illégale, formé dans le délai de deux mois à compter de la réception de l’acte, est possible et en cas de forclusion, il n’est plus envisageable de saisir le juge administratif. Cette attitude résignée doit être relativisée car s’il n’est plus possible d’obtenir l’annulation pour excès de pouvoir de l’acte  contesté, voir en ce sens Conseil d’Etat, 14 octobre 1960, Laplace, p. 541, il reste néanmoins possible de former un recours indemnitaire dit de plein contentieux afin de mettre en cause la responsabilité de l'administration dans le délai de la prescription quadriennale.       

1) Les délais pour former un recours indemnitaire « 2ème chance »

Il faut rappeler que le requérant ne peut pas saisir directement le tribunal administratif d'un recours en indemnisation.

Il doit au préalablement adresser une demande à l'administration lui faisant part de ses prétentions. C'est la décision expresse ou implicite préalable à la phase contentieuse de l'administration qui devra faire l'objet du recours contentieux en indemnisation.

Voir Conseil d'Etat, 5 / 3 SSR, 16 mars 1979, Commune de Mireval, requête n° 06177, publié aux Tables du Recueil Lebon . « En l'espèce, une institutrice ayant demandé au maire de lui attribuer une maison destinée au logement des instituteurs et alors vacante. Le maire ayant rejeté cette demande et n'ayant mis à la disposition de l'intéressée aucun autre logement convenable, celle-ci avait droit à l'indemnité représentative et était fondée à demander au tribunal administratif de condamner la commune à la lui verser. Si l'intéressée a en outre demandé au tribunal administratif, en invoquant la faute qu'aurait commise le maire en lui refusant un logement scolaire disponible, de condamner la commune à lui verser des dommages-intérêts, elle ne justifiait d'aucune décision administrative préalable rejetant une telle demande. Conclusions sur ce point irrecevables. »

La décision préalable est ainsi indispensable pour « lier le contentieux » Conseil d'Etat, 4 / 1 SSR, 11 février 1983, Syndicat autonome des enseignants de médecines et autres, requête n° 43412, publié aux Tables du Recueil Lebon,mais toutefois par exception dans certaines matières, le tribunal administratif peut être saisi directement (travaux publics, contentieux électoral et également lorsque le juge administratif est saisi après une instance devant un tribunal de l'ordre judiciaire ).

Le recours en indemnisation qui sera introduit devant le tribunal administratif devra inclure les mêmes parties que celles de la demande préalable et devra tendre au même objet en se fondant sur la même « cause juridique ». (Conclusions du Commissaire du Gouvernement Kahn sous l'arrêt Conseil d'état, 23 mars 1956, Dame veuve Ginestet, A.J.D.A 1956.164).

Le Professeur René Chapus définit la notion de cause juridique dans la responsabilité extra contractuelle comme : « statut juridique sous la protection duquel la victime entend se placer pour engager la responsabilité de la puissance publique et obtenir réparation du préjudice souffert » René Chapus, mélanges Stassinopoulos, 1974, page 77.

L'absence de décision préalable lorsqu'elle est obligatoire rend irrecevable le recours directement adressé au tribunal administratif.

De plus, l'absence de preuve d'envoi de la demande préalable rendant le recours irrecevable, il est prudent d'envoyer cette dernière au moyen d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par une remise au guichet de l'administration contre délivrance d'un récépissé.

Mais le défaut de décision préalable n'a pas un caractère d'ordre public et n'a donc pas à être soulevé d'office par le juge administratif.

Conseil d'État, 4ème / 5ème SSR, 04/12/2013, 354386

« Aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration. En revanche, une telle fin de non-recevoir peut être opposée lorsque, à la date à laquelle le juge statue, le requérant s'est borné à l'informer qu'il avait saisi l'administration d'une demande mais qu'aucune décision de l'administration, ni explicite ni implicite, n'était encore née. »

TRES IMPORTANT : ordre de discussion des irrecevabilités: si en matière de contentieux de l'excès de pouvoir, l'ordre de discussion des irrecevabilités importe peu, il en va différemment dans le contentieux de pleine juridiction en ce qui concerne le défaut de décision préalable.

En matière de plein contentieux, dans le « Mémoire en défense », il faut impérativement soulever l'irrecevabilité pour défaut de décision préalable avant toute discussion au fond.

Faute de le faire, si le défendeur au recours en indemnisation commence à discuter le bien-fondé de la demande en concluant à son rejet à titre principal et si ce même défendeur oppose ensuite à titre subsidiaire le défaut de décision préalable, le Conseil d'Etat a considéré dans un arrêt d'Assemblée du 23 avril 1965, Dame veuve Ducroux, Rec. p. 231, que « ses conclusions doivent être regardées comme constituant une décision de rejet susceptible de lier le contentieux devant la juridiction administrative »

En effet, l’article 1 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, dispose que : « Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public. »

Bien sûr, la décision de l’administration opposant la prescription quadriennale peut être contestée par la voie du recours en excès de pouvoir devant le juge administratif.

Dans un arrêt  du 10 janvier 2007, le Conseil d’Etat a considéré que « l'erreur qu'aurait commise l'administration en ne tenant pas compte, pour le calcul de sa rémunération jusqu'au début de l'année 2004, du fait qu'elle est titulaire depuis le 1er août 1996 du diplôme d'études techniques et administratives » n’interrompt pas le délai de la prescription quadriennale.  

Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 10/01/2007, 280217

Mais l’article 2 de la loi précitée dispose que : « La prescription est interrompue par :

Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement.

Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ;

Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ;

Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n'a pas été exactement désigné.

Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. »

L’article 3 de la loi précitée dispose que : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. »

Enfin, l’article 6 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 précise que « Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi. Toutefois, par décision des autorités administratives compétentes, les créanciers de l'Etat peuvent être relevés en tout ou en partie de la prescription, à raison de circonstances particulières et notamment de la situation du créancier. La même décision peut être prise en faveur des créanciers des départements, des communes et des établissements publics, par délibérations prises respectivement par les conseils départementaux, les conseils municipaux et les conseils ou organes chargés des établissements publics. Ces délibérations doivent être motivées et être approuvées par l'autorité compétente pour approuver le budget de la collectivité intéressée. »

b) Le délai pour saisir le juge administratif d’un recours de plein contentieux

Il convient de rappeler que lorsque l’administration n’a pas répondu à une « demande préalable en indemnisation », (décision tacite de rejet), le délai de recours contentieux ne court pas.

Vous pouvez donc saisir le juge administratif à partir du silence gardé par l’administration pendant deux mois, jusqu’à l’expiration du délai de prescription quadriennale de 4 ans à compter du 1er janvier suivant l’année de notification de la décision querellée.

L’article R.421-3 du code de justice administrative dispose que : « Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet :

1° En matière de plein contentieux ;

2° Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ;

3° Dans le cas où la réclamation tend à obtenir l'exécution d'une décision de la juridiction administrative. »

2) La forme du recours indemnitaire « « 2ème chance » lorsque la décision non querellée en annulation pour excès de pouvoir dans le délai de deux mois a un caractère pécuniaire

Mais, ce n’est pas aussi simple qu’il n’y parait, car si le recours en annulation pour excès de pouvoir que vous n’avez pas formé dans le délai de deux mois concerne une décision de l’administration qui avait un caractère pécuniaire (refus de versement d’un élément de traitement à un fonctionnaire par exemple),  le recours indemnitaire devra s’appuyer sur des préjudice distincts et il ne faudra pas, sous peine d’irrecevabilité de la requête, demander dans votre recours de plein contentieux le rappel du traitement non versé.

Par contre, si nous reprenons l’exemple ci-dessus, il faudra dans votre « demande préalable » et dans votre recours démontrer que le non versement fautif de l’élément de traitement a causé au fonctionnaire des préjudices tels que des troubles dans ses conditions d’existence, l’obligation de souscrire des prêts, de vendre sa voiture, de faire face à des poursuite judiciaires ou des commandement de payer d’huissiers … Le justiciable ne doit pas se limiter à demander le remboursement de la somme qui aurait dû être versée  par l’administration, mais  une somme équivalente ou supérieure au titre d’une indemnisation pour faute de ses préjudices.

D’ailleurs en cas d’éviction illégale d’un fonctionnaire, l’arrêt Deberles s’oppose à ce qu’un traitement soit versé en l’absence de service fait, et seule une indemnisation est possible.

Conseil d'Etat, Assemblée, du 7 avril 1933, 04711, publié au recueil Lebon

« (…) Considérant que si l'arrêté du maire d'Haillicourt, du 25 mai 1925, prononçant la révocation du sieur X..., a été annulé par décision du Conseil d'Etat le 20 juillet 1927, et si l'arrêté du 17 décembre 1928, prononçant à nouveau cette révocation, est annulé par la présente décision, le requérant, en l'absence de service fait, ne peut prétendre au rappel de son traitement ; mais qu'il est fondé à demander à la commune d'Haillicourt la réparation du préjudice qu'il a réellement subi du fait de la sanction disciplinaire prise à son encontre dans des conditions irrégulières ;(…) »

Conseil d'État, Section, 21/03/2011, 306225, Publié au recueil Lebon

« (…) Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin, l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur, comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité. (…) »

SOURCES D'INSPIRATION DE CET ARTICLE « L'avocat et les juridictions administratives - Questions judiciaires » par Christian Pujalte et Edouard de Lamaze aux éditions puf.

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