Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Le défaut de surveillance par un infirmier d’un patient suicidaire constitue-t-il une « faute caractérisée » au sens du 4ème alinéa de l’article L.121-3 du code pénal ?

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OUI : il mais convient d’abord de distinguer la situation du Centre hospitalier, personne morale et celle des infirmiers, personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, dès lors qu'une faute simple suffit à engager la responsabilité pénale du premier alors que les seconds ne peuvent se voir reprocher le délit précité que s'ils ont commis une faute qualifiée au sens du 4ème alinéa de l'article 121-3 du code pénal. Dans son arrêt en date du 10 décembre 2015, la Cour d’appel de Montpellier a jugé qu’ont fait preuve d'une particulière imprudence et commis une faute caractérisée qui a favorisé le passage à l'acte de la victime et est à l'origine du retard dans les secours les infirmiers qui se sont éloignés tous les trois simultanément de la zone du poste de surveillance et de l'unité d'isolement pour se rendre dans le secteur du réfectoire, lieu dans lequel ils ne pouvaient ni surveiller les patients en chambre d'isolement ni entendre l'alarme incendie, alors qu'ils étaient parfaitement informés de la nécessité d'exercer une vigilance particulière à son égard pour prévenir toute nouvelle tentative par elle de mettre fin à ses jours.

En l'espèce, Dyana D... était hospitalisée, depuis le 7 juillet 2008, en unité psychiatrique à l'hôpital de SETE et que la pathologie dont elle souffrait avait pour conséquence que celle-ci portait atteinte à son intégrité physique. Il ressortait du dossier médical qu'elle était déterminée dans sa volonté d'autolyse.

Le 27 août 2008, Dyana D... se scarifiait deux fois au poignet avec des lames de rasoir en compagnie d'une autre patiente. Le soir même, elle était placée en chambre d'isolement.

Selon les prescriptions pour le placement en chambre d'isolement, Dyana D... devait être mise en pyjama de service, lequel était constitué d'un pantalon et d'une liquette sans poche. En outre, la porte de la chambre devait être verrouillée et les repas devaient être pris en chambre.

Le lendemain, vers 19 heures, Dyana D... mettait le feu aux draps de sa chambre à l'aide d'un briquet qu'elle avait dissimulé.

Immédiatement, le capteur de détection de fumée déclenchait l'alarme, matérialisée par un message de localisation du lieu du sinistre au niveau de l'armoire centrale de contrôle se trouvant dans le local infirmier ainsi que par la mise en route d'un buzzer.

En outre, le système d'alarme était relié à deux ordinateurs situés dans l'hôpital général, dont l'un était programmé pour renvoyer les alertes déclenchées sur les téléphones portables des agents de sécurité.

Enfin, les chambres d'isolement étaient pourvues de caméras de surveillance connectées à un moniteur situé dans le local infirmier.

Il apparaissait d'une part, que personne n'entendait l'alarme incendie et que d'autre part, personne ne se trouvait dans le local infirmier. Les 3 infirmiers en fonction ce jour-là indiquaient qu'ils étaient au réfectoire pour assurer la distribution des médicaments lors du repas du soir. Or l'alarme incendie du Centre Hospitalier était inaudible dans certains lieux du service et spécialement dans le réfectoire.

Il convient en conséquence de distinguer la situation du Centre hospitalier du Bassin de Thau (CHBT), personne morale et celle des infirmiers, personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, dès lors qu'une faute simple suffit à engager la responsabilité pénale du premier alors que les seconds ne peuvent se voir reprocher le délit précité que s'ils ont commis une faute qualifiée.

Aucune faute ne peut être retenue à l'encontre d'un Centre Hospitalier qui n'a pas détecté un briquet en plastique dissimulé dans les sous-vêtements d'une patiente à tendance suicidaire placée en chambre d'isolement et avec lequel elle a mis le feu à sa literie, dès lors qu'aucune disposition de la loi ou du règlement ne lui imposait de norme particulière relative aux fouilles des patients ou des chambres d'isolement, qu'il avait mis en place un protocole prévoyant le dépôt de leurs effets personnels dans une pièce distincte et l'établissement d'une feuille d'inventaire  et que ni un détecteur électrique ou un portique de sécurité ni aucun autre moyen technique réalisable n'aurait permis la découverte du briquet utilisé par la victime.

 Il en résulte que le Centre Hospitalier a accompli les diligences normales auxquelles il était tenu en application des troisième et quatrième alinéas de l'article 121-3 du Code Pénal, compte tenu de la nature de ses missions et des moyens dont il disposait.

Même si le Centre Hospitalier était pourvu à la date des faits d'un système d'alarme restreinte conforme à la réglementation en vigueur , il aurait dû prévoir, du fait que les infirmiers étaient amenés à se rendre au réfectoire 4 fois par jour afin de distribuer les médicaments aux patients ou d'aider à la surveillance des repas, de mettre en place une diffusion de l'alarme restreinte dans cette zone du service très fréquentée par le personnel soignant.

En s'abstenant de faire réaliser les travaux d'équipement qui s'imposaient et d'accomplir ainsi les diligences normales eu égard aux pouvoirs et aux moyens dont elle disposait , la direction de l'établissement, agissant pour son compte, a commis une faute d'imprudence ou de négligence qui a contribué à retarder l'intervention des secours dans la chambre de la victime et en conséquence à causer ses blessures. Le fait que la commission locale de sécurité n'ait relevé aucun manquement en matière de sécurité ne peut créer un fait justificatif en matière pénale.

L'article U21 du règlement de sécurité, dans sa version applicable à la date des faits, imposait au Centre Hospitalier d'une part, de doter les personnels soignants du passe permettant le déverrouillage de la chambre d'isolement de la patiente, et d'autre part, de mettre ce passe à disposition des services de secours. En mettant les clés des chambres d'isolement à la disposition des seuls infirmiers et en ne prévoyant aucune mesure pour pallier une défaillance ou un possible empêchement de leur part, le directeur de l'établissement s'est abstenu de respecter les dispositions réglementaires de sécurité et a commis une faute d'imprudence ou de négligence qui a concouru à la réalisation du dommage en retardant la mise en œuvre des secours à la victime dans la mesure où l'agent de sécurité, contraint de partir à la recherche des infirmiers, n'a pu lui apporter un secours immédiat.

Ont fait preuve d'une particulière imprudence et commis une faute caractérisée qui a favorisé le passage à l'acte de la victime et est à l'origine du retard dans les secours les infirmiers qui se sont éloignés tous les trois simultanément de la zone du poste de surveillance et de l'unité d'isolement pour se rendre dans le secteur du réfectoire, lieu dans lequel ils ne pouvaient ni surveiller les patients en chambre d'isolement ni entendre l'alarme incendie, alors qu'ils étaient parfaitement informés de la nécessité d'exercer une vigilance particulière à son égard pour prévenir toute nouvelle tentative par elle de mettre fin à ses jours.

SOURCE : Cour d'appel de Montpellier, 10 décembre 2015, 15/00437

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