Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Le juge administratif dispose-t-il de pouvoirs d’instruction lui permettant de rechercher lui-même les preuves ?

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OUI : mais malheureusement, le code de justice administrative ne définit pas le régime général de ces mesures. Le code susvisé se limite à énumérer les différents moyens d’investigations mis à sa disposition. En pratique et à mon sens ces pouvoirs sont en pratique trop rarement utilisés.

1 – Le juge administratif chargé de l’instruction du dossier peut même avoir un véritable « devoir » d’instruction en présence d’  « allégations sérieuses » du requérant non démenties en défense.

 Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 26/11/2012, 354108, Publié au recueil Lebon

« Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur. »

2 – Le juge administratif chargé de l’instruction du dossier peut aussi avoir un « devoir » d’instruction en faveur de l’administration.

Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 19/06/2013, 358240, Publié au recueil Lebon

« S'il appartient à l'administration d'établir que le remboursement des taxes entraînerait un enrichissement sans cause, le juge ne saurait toutefois lui demander des éléments de preuve qu'elle ne peut apporter. Ainsi, dans le cas où l'administration avance une argumentation présentant un degré suffisamment élevé de vraisemblance sur l'enrichissement sans cause dont bénéficierait le redevable en cas de remboursement de l'intégralité des taxes perçues, en s'appuyant sur des éléments d'information pertinents sur l'évolution des prix, des marges et des volumes du secteur concerné à la suite de la mise en application des taxes litigieuses, ainsi que sur des documents qu'elle est en droit d'obtenir du redevable, il appartient au juge, après avoir soumis cette argumentation au débat contradictoire, d'apprécier, le cas échéant après un supplément d'instruction, si l'enrichissement allégué est établi. »

3 – Une mesure d’instruction sollicitée par une partie est toutefois toujours soumise à la condition d’ « utilité de la mesure ».

Conseil d'Etat, Assemblée, du 17 décembre 1976, 00217, publié au recueil Lebon

« Requérant demandant au juge des référés d'ordonner des investigations et des vérifications qui portent sur le fonctionnement général du service des écoutes téléphoniques. Ces mesures n'auraient pour résultat que de confirmer des faits déjà connus, dont l'existence n'est pas contestée par les observations ministérielles. Par suite, elles ne présentent pas un caractère utile. »

Conseil d'Etat, 3 / 5 SSR, du 7 novembre 1975, 96366, mentionné aux tables du recueil Lebon

« Après qu'une expertise eut été ordonnée pour décrire les désordres affectant un immeuble appartenant à un office public d'habitations à loyer modéré, pour en rechercher les causes et pour déterminer et évaluer les travaux nécessaires, l'office a demandé d'urgence au président du tribunal administratif que l'expert soit aussi chargé de contrôler l'exécution des travaux et de vérifier les mémoires et règlements relatifs à la réparation des désordres. S'il relevait de la compétence du juge du référé, en application de l'article R.102 du code des tribunaux administratifs, de désigner un expert pour accomplir cette mission, la mesure demandée n'était pas utile en l 'espèce dès lors que l'office pouvait lui-même désigner un homme de l 'art à cette fin. »

Conseil d'Etat, 3 / 5 SSR, du 13 décembre 1995, 171914, publié au recueil Lebon

« Ordonnance de référé prescrivant, sur le fondement de l'article R.128 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, une expertise afin "d'effectuer le recensement de toutes les associations bénéficiant d'une subvention de la ville d'Aulnay-sous-Bois, d'indiquer le statut juridique de ces associations, leur objet et leur mode de financement, de dresser rapport des subventions qui leur ont été accordées et de l'utilisation qui en a été faire, d'établir un rapport des flux financiers ainsi organisés et gérés". En tant qu'elle porte sur le recensement des associations subventionnées, leur statut juridique, leur objet et le montant des subventions accordées, l'expertise ordonnée a pour objet de rassembler des informations dont la communication pouvait être obtenue par d'autres procédures et ne présente donc pas le caractère d'une mesure d'instruction utile au sens de l'article R.128. Sur les autres points, la demande en référé n'était pas recevable en l'absence de toute précision sur la nature du litige qui la justifierait. »

4 – Le juge administratif chargé de l’instruction peut avoir recours à toute mesure utile telle qu’un constat.

Ainsi, l’article R.532-1 du code de justice administrative énonce : « Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. Il peut notamment charger un expert de procéder, lors de l'exécution de travaux publics, à toutes constatations relatives à l'état des immeubles susceptibles d'être affectés par des dommages ainsi qu'aux causes et à l'étendue des dommages qui surviendraient effectivement pendant la durée de sa mission. Les demandes présentées en application du présent chapitre sont dispensées du ministère d'avocat si elles se rattachent à des litiges dispensés de ce ministère. »

5 – Le juge administratif chargé de l’instruction peut encore solliciter un simple avis technique plus simple à mettre en œuvre qu’une expertise.

L’article R.625-2 du code susvisé ajoute : « Lorsqu'une question technique ne requiert pas d'investigations complexes, la formation de jugement peut charger la personne qu'elle commet de lui fournir un avis sur les points qu'elle détermine. Le consultant, à qui le dossier de l'instance n'est pas remis, n'a pas à opérer en respectant une procédure contradictoire à l'égard des parties. L'avis est consigné par écrit. Il est communiqué aux parties par la juridiction. Les dispositions des articles R. 621-3 à R. 621-6R. 621-10 à R. 621-12-1 et R. 621-14 sont applicables aux avis techniques. »

6 – Le juge administratif chargé de l’instruction du dossier peut enfin ordonner toute mesure comme celle consistant à saisir pour avis une autorité administrative indépendante. (AAI)

Enfin, dans une procédure inspirée de l’ « amicus curiae » (ami de la Cour en français) , l’article R.625-3 du code de justice administrative ajoute : « La formation chargée de l'instruction peut inviter toute personne, dont la compétence ou les connaissances seraient de nature à l'éclairer utilement sur la solution à donner à un litige, à produire des observations d'ordre général sur les points qu'elle détermine. L'avis est consigné par écrit. Il est communiqué aux parties. Dans les mêmes conditions, toute personne peut être invitée à présenter des observations orales devant la formation chargée de l'instruction ou la formation de jugement les parties dûment convoquées. »

Conseil d'État, Assemblée, 14/02/2014, 375081, Publié au recueil Lebon

LIRE : Le juge administratif ne doit-il s'en tenir qu'aux observations générales d'un « amicus curiae » ?

OUI : dans un arrêt en date du 6 mai 2015, le Conseil d'Etat considère qu'une demande formulée auprès d'une personne dont la formation d'instruction estime que la compétence ou les connaissances seraient de nature à l'éclairer utilement sur la solution à donner au litige (dénommée « amicus curiae » ou en français ami de la Cour), ne peut porter que sur des observations d'ordre général sur les points qu'elle détermine, lesquels peuvent être des questions de droit, à l'exclusion de toute analyse ou appréciation de pièces du dossier. Toutefois, lorsque l'avis a été demandé ou rendu en méconnaissance de ces principes, le juge n'entache pas sa décision d'irrégularité s'il se borne à prendre en compte les observations d'ordre général, juridiques ou factuelles, qu'il contient.

Le Conseil d'Etat considère que la demande peut prendre la forme d'un courrier du président de la formation chargée d'instruire l'affaire comme d'une décision juridictionnelle. Cette demande, formulée auprès d'une personne dont la formation d'instruction estime que la compétence ou les connaissances seraient de nature à l'éclairer utilement sur la solution à donner au litige, ne peut porter que sur des observations d'ordre général sur les points qu'elle détermine, lesquels peuvent être des questions de droit, à l'exclusion de toute analyse ou appréciation de pièces du dossier. Toutefois, lorsque l'avis a été demandé ou rendu en méconnaissance de ces principes, le juge n'entache pas sa décision d'irrégularité s'il se borne à prendre en compte les observations d'ordre général, juridiques ou factuelles, qu'il contient.

Aux termes de l'article R.625-3 du code de justice administrative : « La formation chargée de l'instruction peut inviter toute personne, dont la compétence ou les connaissances seraient de nature à l'éclairer utilement sur la solution à donner à un litige, à produire des observations d'ordre général sur les points qu'elle détermine. / L'avis est consigné par écrit. Il est communiqué aux parties (...) ».

En l'espèce, en demandant à M.C ..., enseignant-chercheur à la faculté de droit de Nantes, sur le fondement de l'article R.625-3 du code de justice administrative, de lui indiquer si « l'aveu et dénombrement » du 1er mai 1542 dont se prévalait le requérant était susceptible de constituer un titre de propriété antérieur à l'édit de Moulins de février 1566, de sorte qu'il ferait échec au principe d'inaliénabilité du domaine public, la cour lui a confié, en méconnaissance des dispositions de l'article R.625-3, la mission de prendre parti sur une question qui n'était pas d'ordre général et qui le conduisait à porter une appréciation juridique sur une pièce du dossier.

En ne se bornant pas à tenir compte, pour rendre son arrêt, des seules observations d'ordre général contenues dans la contribution de M. C ..., la cour l'a entaché d'irrégularité.

En outre, en se fondant exclusivement, dans son arrêt, sur l'opinion émise par M. C ... pour estimer que M. B... ne pouvait exciper d'un titre de propriété sur les parcelles antérieur à l'édit de Moulins, la cour a méconnu son office.

M. B ... est, par suite, fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

SOURCE : Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 06/05/2015, 375036, Publié au recueil Lebon

Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 20/07/2005, 279180, Publié au recueil Lebon

« Saisi d'une requête dirigée contre une décision ministérielle approuvant un projet de concentration économique, le Conseil d'Etat peut, pour établir sa conviction, saisir pour avis le Conseil de la concurrence. Cette saisine peut se faire sans fondement législatif exprès (dès lors que l'article L.462-3 du code de commerce ne prévoit la saisine du Conseil de la concurrence qu'à propos de pratiques anticoncurrentielles), sur la seule base des pouvoirs d'instruction du Conseil d'Etat. Pour instruire cette demande d'avis, le Conseil de la concurrence est invité à procéder dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article L.430-6 du code de commerce, c'est-à-dire à faire usage de ses pouvoirs d'investigation et à établir son rapport de manière contradictoire. »

Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 19/06/2013, 358240, Publié au recueil Lebon

« S'il appartient à l'administration d'établir que le remboursement des taxes entraînerait un enrichissement sans cause, le juge ne saurait toutefois lui demander des éléments de preuve qu'elle ne peut apporter. Ainsi, dans le cas où l'administration avance une argumentation présentant un degré suffisamment élevé de vraisemblance sur l'enrichissement sans cause dont bénéficierait le redevable en cas de remboursement de l'intégralité des taxes perçues, en s'appuyant sur des éléments d'information pertinents sur l'évolution des prix, des marges et des volumes du secteur concerné à la suite de la mise en application des taxes litigieuses, ainsi que sur des documents qu'elle est en droit d'obtenir du redevable, il appartient au juge, après avoir soumis cette argumentation au débat contradictoire, d'apprécier, le cas échéant après un supplément d'instruction, si l'enrichissement allégué est établi. »

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