Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

La charge « partagée » de la preuve des faits dans le contentieux de l’excès de pouvoir !

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Le code de justice administrative (CJA) ne prévoit aucune règle d’attribution de la charge de la preuve en droit administratif. Ainsi, en contentieux administratif, le demandeur ne peut va voir son recours rejeté au seul motif que ses allégations ne seraient pas suffisamment étayées. Ainsi, le droit administratif répartit la charge effective de la preuve des faits entre l’administration, le requérant et le juge.

1 – une charge de la preuve partagée entre les parties.

Le juge de l’excès de pouvoir forge sa conviction sans faire supporter la charge de la preuve à l’auteur du recours.

Dans un arrêt en date du 26 novembre 2012, le Conseil d’Etat a jugé qu’il : « appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties.

S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance.

Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur. »

Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 26/11/2012, 354108, Publié au recueil Lebon

« L'article 10 de la directive du 27 novembre 2000 dispose que Les Etats membres prennent les mesures nécessaires (...) afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction (...) des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement. Cet article pose une obligation conditionnelle, dès lors que son cinquième paragraphe prévoit que ces dispositions relatives à l'aménagement de la charge de la preuve n'affectent pas la compétence laissée aux Etats membres pour décider du régime applicable aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la juridiction. Or tel est l'office du juge administratif en droit public français. Par conséquent, les dispositions de l'article sont dépourvues d'effet direct devant la juridiction administrative.

Même si cette directive est dénuée d'effet direct, le juge administratif fait usage des pouvoirs qu'il tient dans la conduite de la procédure inquisitoire et met en œuvre un mécanisme adapté de charge de la preuve qui tient compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes.

Ainsi, le juge, lors de la contestation d'une décision dont il est soutenu qu'elle serait empreinte de discrimination, doit attendre du requérant qui s'estime lésé par une telle mesure qu'il soumette au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de l'égalité de traitement des personnes.

Il incombe alors au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

Tout justiciable peut demander l'annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives.

Tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.

L'article 10 de la directive du 27 novembre 2000 dispose que Les Etats membres prennent les mesures nécessaires (...) afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction (...) des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement. Cet article pose une obligation conditionnelle, dès lors que son cinquième paragraphe prévoit que ces dispositions relatives à l'aménagement de la charge de la preuve n'affectent pas la compétence laissée aux Etats membres pour décider du régime applicable aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la juridiction. Or tel est l'office du juge administratif en droit public français. Par conséquent, les dispositions de l'article sont dépourvues d'effet direct devant la juridiction administrative. »

Conseil d'État, Assemblée, 30/10/2009, 298348, Publié au recueil Lebon

« Aux termes de l'article L.192 du livre des procédures fiscales : Lorsque l'une des commissions visées à l'article L.59 est saisie d'un litige ou d'un redressement, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission.

La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou le redressement est soumis au juge. /

Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu, comme en cas de taxation d'office à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L.16 et L.69.

En adoptant le premier alinéa de l'article L.192 du livre des procédures fiscales, éclairé, au demeurant, par les travaux préparatoires auxquels celui-ci a donné lieu, le législateur a seulement entendu mettre fin, sous réserve du cas prévu au deuxième alinéa du même article, à l'état du droit antérieur sous l'empire duquel l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires avait pour effet, s'il était favorable à l'administration fiscale, d'attribuer au contribuable la charge d'une preuve que l'intéressé n'aurait pas supportée en l'absence de saisine de cette commission.

En revanche, le législateur n'a pas entendu déroger aux principes généraux régissant la charge de la preuve et exiger de l'administration fiscale qu'elle justifie qu'une charge n'est pas déductible dans son principe, dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires, saisie, a rendu un avis favorable au contribuable. 

En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions du 1 de l'article 39 du code général des impôts selon lesquelles le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité.

En ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée.

Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive. »

Conseil d'Etat, Section du Contentieux, du 20 juin 2003, 232832, publié au recueil Lebon

« Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé. »

Conseil d'État, Section du Contentieux, 11/07/2011, 321225, Publié au recueil Lebon

2 - Mais, dans certains cas, la charge de la preuve repose uniquement sur l’administration.

a) Lorsque les allégations du requérant ne peuvent être soutenues que par une preuve négative, notamment en matière de respect par l’administration de ses obligations procédurales (consultation organisme, communication préalable du dossier, vice de procédure, preuve de la notification de la décision à l’intéressé …).

b) En matière disciplinaire ou répressive.

« En se bornant à faire état de ce que l'intéressé "s'est trouvé en relations avec de nombreuses personnes dont l'activité antigouvernementale clandestine est avérée", sans apporter aucune précision, le ministre n'a pas porté la preuve qui lui incombe de l'exactitude matérielle des griefs invoqués. »

Conseil d'Etat, Section, du 16 juin 1965, 62105, publié au recueil Lebon

3 - Le juge, appréciant souverainement l’utilité de procéder à une telle mesure d’instruction, peut demander à l’administration de produire des documents si les allégations du requérant sont sérieuses et si elles ne sont pas démenties par l’administration.

Conseil d’Etat, 1er mai 1936, Couespel du Menil, Rec. p. 485

« Considérant qu’à l’effet de rechercher si, ainsi que le soutient le sieur X, de pareilles circonstances ne se rencontrent pas en l’espèce, la 1ère sous-section de la Section du contentieux du Conseil d’Etat, chargée de l’instruction, a ordonné la production du dossier de l’intéressé, ainsi que des pièces et rapports au vu desquels a été prononcée la mise à la retraite du requérant; que le ministre a refusé de déférer à cette injonction; que ce refus est injustifié; qu’il appartient, en effet, au Conseil d’Etat, saisi d’un recours pour excès de pouvoir, d’exiger de l’administration compétente la production de tous documents susceptibles d’établir sa conviction et de nature à permettre la vérification des allégations du requérant; qu’il y a lieu, dès lors, d’ordonner, avant dire droit sur la requête du sieur X, la production des pièces et rapports réclamés au ministre de la Marine par la 1ère sous-section de la Section du contentieux dans les conditions ci-dessus précisées;… (Avant dire droit sur la requête susvisée du sieur X, est ordonnée la production par le ministre de la Marine, dans le délai de huit jours à compter de la notification de la présente décision, du dossier dudit sieur X, ainsi que de toutes pièces et tous rapports au vu desquels cet officier a été mis d’office à la retraite). »

Conseil d'Etat, Assemblée, du 28 mai 1954, 28238 28493 28524 30237 30256, publié au recueil Lebon (arrêt Barel)

« (…) Qu'en cet état de la procédure la Section du Contentieux, chargée de l'instruction des requêtes, usant du pouvoir qui appartient au Conseil d'Etat d'exiger de l'administration compétente la production de tous documents susceptibles d'établir la conviction du juge et de permettre la vérification des allégations des requérants a, par délibération du 19 mars 1954, demandé au secrétaire d'Etat la production des dossiers constitués au sujet de la candidature de chacun des requérants ; qu'en ce qui concerne les sieurs X... et Y..., aucune suite n'a été donnée par le secrétaire d'Etat à cette demande ; (…) »

4 - Le juge, appréciant souverainement l’utilité de procéder à une telle mesure d’instruction, peut aussi demander à l’administration de fournir des explications de fait et de droit.

 Conseil d'Etat, Section, du 26 janvier 1968, 69765, publié au recueil Lebon (Société Maison Genestal).

« Considérant qu'en réponse à la communication qui lui a été donnée du pourvoi, le ministre de l'économie et des finances s'est borne a indiquer que l'opération projetée par la société "maison Genestal" "ne lui a pas paru comporter, sur le plan de l'intérêt général, des avantages économiques suffisants pour justifier l'octroi d'un agrément auquel est attachée une substantielle réduction d'impôt" ; que ce motif est formule en termes trop généraux pour permettre à la juridiction administrative d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée de refus d'agrément et de vérifier si, compte tenu de l'argumentation développée par la société requérante, cette décision n'est pas entachée d'inexactitude matérielle, d'erreur de droit, d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ; qu'ainsi, la solution du litige est subordonnée a l'indication par le ministre intéressé des raisons de fait et de droit pour lesquelles il a estimé que l'opération projetée par la société "maison Genestal" ne présentait pas un intérêt économique suffisant pour justifier l'octroi de l'agrément prévu a l'article 722 du code général des impôts ; que, par suite, l'affaire n'est pas en état et ne peut être évoquée ; »

5 - Le silence de l’administration malgré une mise en demeure du juge de produire un mémoire vaut acquiescement aux faits.

L’article R.612-6 du code de justice administrative  énonce que : « Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant. »

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