Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Le recours du pouvoir adjudicateur à un marché public global fait-il l'objet d'un contrôle normal du juge administratif ?

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OUI : dans son arrêt en date du 26 juin 2015, confirmant sa jurisprudence du 27 octobre 2011, le Conseil d’Etat précise que, saisi d'un moyen tiré de l'irrégularité du recours à un marché global, il appartient au juge de déterminer si l'analyse à laquelle le pouvoir adjudicateur a procédé et les justifications qu'il fournit sont, eu égard à la marge d'appréciation qui lui est reconnue pour estimer que la dévolution en lots séparés présente l'un des inconvénients que les dispositions précitées mentionnent, entachée d'appréciations erronées. Le Conseil d’Etat ajoute qu’il n'appartient pas au juge du référé précontractuel d'apprécier les mérites des candidatures à un marché public.

La ville de Paris se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 9 avril 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a annulé, à la demande des sociétés Extérion Média France et Derichebourg SNG, la procédure qu'elle avait lancée en vue de la passation d'un marché public dont l'objet était la conception, la fourniture, l'entretien, la maintenance et l'exploitation publicitaire de kiosques de presse et de quelques kiosques à autre usage ainsi que la gestion de l'activité des kiosquiers.

Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 23 octobre 2012, la ville de Paris a lancé une procédure de dialogue compétitif en vue de l'attribution d'un marché global qui devait se substituer à deux conventions existantes ayant respectivement pour objet, d'une part, la fourniture, l'entretien et l'exploitation publicitaire des kiosques, et, d'autre part la gestion de l'activité des kiosquiers.

Selon les dispositions du « préprogramme fonctionnel »  communiqué aux candidats, étaient principalement demandés au futur titulaire du marché, en premier lieu, le renouvellement d'au moins 200 des 404 kiosques actuels et l'adaptation des nouveaux mobiliers aux exigences de la ville en matière de fonctionnalités, de développement durable et d'innovation, en second lieu, la gestion de l'activité des kiosquiers, l'animation du réseau des kiosques et le soutien à l'activité de diffusion de la presse.

Le titulaire, également chargé de la rénovation, de la maintenance et de l'entretien de l'ensemble du parc de kiosques et redevable d'une redevance annuelle d'un montant à déterminer était autorisé, en contrepartie, à exploiter les espaces publicitaires sur les mobiliers.

Pour annuler l'ensemble de la procédure, le juge des référés a jugé que la ville de Paris avait méconnu, d'une part, l'article 10 du code des marchés publics en passant un marché global, d'autre part, l'article 36 du code en choisissant une procédure de dialogue compétitif.

1) Le Conseil d'Etat confirme que le recours du pouvoir adjudicateur à un marché public  global fait l'objet d'un contrôle normal du juge administratif.

Aux  termes de l'article 10 du code des marchés publics : «  Afin de susciter la plus large concurrence, et sauf si l'objet du marché ne permet pas l'identification de prestations distinctes, le pouvoir adjudicateur passe le marché en lots séparés (...). Le pouvoir adjudicateur peut toutefois passer un marché global, avec ou sans identification de prestations distinctes, s'il estime que la dévolution en lots séparés est de nature, dans le cas particulier, à restreindre la concurrence, ou qu'elle risque de rendre techniquement difficile ou financièrement coûteuse l'exécution des prestations ou encore qu'il n'est pas en mesure d'assurer par lui-même les missions d'organisation, de pilotage ou de coordination »

Dans son arrêt en date du 26 juin 2015, le Conseil d’Etat précise que, saisi d'un moyen tiré de l'irrégularité du recours à un marché global, il appartient au juge de déterminer si l'analyse à laquelle le pouvoir adjudicateur a procédé et les justifications qu'il fournit sont, eu égard à la marge d'appréciation qui lui est reconnue pour estimer que la dévolution en lots séparés présente l'un des inconvénients que les dispositions précitées mentionnent, entachée d'appréciations erronées.

2) Le Conseil d'Etat rappelle qu'il n'appartient pas au juge du référé précontractuel d'apprécier les mérites des candidatures à un marché public.

En l’espèce, les candidatures retenues en vue de la phase de dialogue ont été évaluées, selon le règlement de la consultation, au regard de trois critères, pondérés à 50 %, 35 % et 15 %, relatifs, pour le premier, aux capacités techniques et aux moyens humains et matériels, pour le deuxième, aux références liées aux « compétences attendues dans le cadre de l'exécution du marché : exploitation publicitaire associée aux mobiliers urbains ; conception de mobiliers urbains ; fabrication et maintenance de mobiliers urbains ; entretien de mobiliers urbains ; animation d'un réseau de professionnels », et, pour le troisième, aux capacités financières.

La ville de Paris ayant décidé de n'admettre au dialogue que trois candidats, la candidature du groupement requérant, classée quatrième après évaluation de ses mérites, a été écartée ; qu'informant le groupement de ce rejet, la ville lui a indiqué qu'il avait obtenu la note de 4/10 pour le deuxième critère en précisant que s'il avait «  présenté trois références pertinentes dans l'exploitation publicitaire associée au mobilier urbain », il n'en avait présenté «  aucune en termes d'animation d'un réseau de professionnels »  et n'avait fait état « d'aucun titre d'études ou qualification professionnelles relatifs aux métiers de conception ou de design pour des mobiliers comparables à des kiosques » ni « d'aucune référence dans le domaine de la presse ».

Dans son arrêt en date du 26 juin 2015, le Conseil d’Etat considère qu'en mentionnant l'absence de références dans le domaine de la presse, le courrier adressé par la ville de Paris aux requérantes n'a pas révélé l'existence d'un critère d'appréciation des candidatures différent du critère relatif aux compétences attendues qui avait été porté à la connaissance des candidats. Si les requérantes font valoir les titres ou références qu'elles avaient présentés pour contester les termes de ce courrier, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel d'apprécier les mérites des candidatures. 

SOURCES : Conseil d'État, 7ème / 2ème SSR, 26/06/2015, 389682

Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 27/10/2011, 350935

Le choix de recourir à un marché global fait l'objet d'un contrôle normal par le juge. Une réduction de plus de 60 % des prix par rapport au marché précédent justifie un tel choix.

3) Jurisprudence du Conseil d’Etat concernant  le contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation s'agissant du nombre de lots retenus.

Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 21/05/2010, 333737

La collectivité ayant engagé une procédure pour la passation d'un marché de services juridiques divisé en deux lots - l'un ayant pour objet des prestations de conseils juridiques, l'autre la représentation en justice, n'a pas, ce faisant, méconnu l'article 10 du code des marchés publics.

Une telle division en deux lots n'étant pas, compte tenu de la nature des prestations et de l'objet du marché, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

4) Jurisprudence du Conseil d’Etat concernant la nécessité que le recours au marché global soit justifié.

Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 11/08/2009, 319949

La fourniture d'un service de téléphonie mobile et la mise en œuvre de transferts d'informations entre machines, notamment horodateurs et feux de signalisation constituent, bien qu'elles fassent appel à la même technologie GSM, des prestations distinctes, au sens de l'article 10 du code des marchés publics. Elles ne peuvent donc être légalement regroupées en un même lot.

Les motifs qui pourraient justifier le regroupement dans un seul lot, comme les difficultés à coordonner les deux ensembles ou les possibles économies, doivent être suffisamment justifiés sous le contrôle du juge. En l'espèce, l'impact financier d'un regroupement, évalué à 2% du budget alloué au lot, est jugé insuffisant pour justifier un regroupement en un seul lot.

Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 09/12/2009, 328803

La réduction significative du coût des prestations pour le pouvoir adjudicateur - qui a pour corollaire une économie budgétaire pour celui-ci - constitue, lorsqu'elle est démontrée au moment du choix entre des lots séparés ou un marché global, un motif légal de dévolution en marché global par application de l'article 10 du code des marchés publics.

Lorsqu'au moment de la passation d'un marché il est établi que celui-ci nécessite pour sa réalisation le recours à une part importante de fournitures, notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux, le contrat doit comporter une clause de révision de prix établie en fonction d'une référence aux indices officiels de fixation de ces cours, conformément aux dispositions du 1° du IV de l'article 18 du code des marchés publics (qui, contrairement à celles du 2°, ne permettent pas l'inclusion d'un terme fixe).

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