Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Nostalgie de fin : Maître André ICARD a une pensée émue pour la Dame Cachet !

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Les réalités économiques de la vie me rattrapent et cette chronique est certainement l'une de mes toutes dernières sur Internet. J’avais oublié parmi les dames qui ont contribué à façonner la jurisprudence administrative du Conseil d’Etat, la Dame Cachet  qui grâce à son refus de s'incliner devant la volonté du ministre des finances de l’époque, a été bien malgré elle l’instigatrice d’un élément fondamental du régime juridique des décisions administratives, en vertu duquel une décision administrative irrégulière qui a créé des droits ne peut être retirée une fois le délai de recours expiré, c'est à dire lorsque le juge n'est plus en mesure d'en prononcer l'annulation.

Les femmes sont parfois bien obstinées, j’en sais quelque chose pour en fréquenter assidument une depuis bientôt 43 ans et pour une fois je m’en réjouis.

De plus, quand l’obstination se mêle à l’appât du gain, cela peut créer de grave remous sur le long fleuve tranquille de l’administration française.

Mais venons-en aux faits.

Mme Cachet demeurant à Lyon 3 rue du Jardin des Plantes possédait dans cette belle capitale de la région Rhône Alpes où j’ai très brièvement résidé il y a quelques années, une jolie petite maison qu’elle avait donnée en location à un jardinier qui bénéficiait d'une exonération de loyers en vertu d'une loi du 9 mars 1918.

Invoquant les dispositions de cette loi, la dame Cachet réclama au Directeur de l'Enregistrement du département du Rhône une indemnité pour perte de loyers.

Jugeant l'indemnité obtenue de 121,50 francs insuffisante, la Dame Cachet  s'adressa au Ministre des Finances à l'effet d'obtenir une somme plus élevée.

Mais loin de lui donner satisfaction, par une décision inique dont l’administration seule a le secret, le ministre des finances de l’époque Monsieur  Paul Doumer  , futur Président de la République, en date du 25 mai 1921, prononça le retrait de la décision qui lui avait alloué une indemnité et ordonna en conséquence à la malheureuse, de reverser au Trésor Public la somme qu'elle avait déjà touchée.

Alors ça, c’est un peu fort de café, non seulement la Dame Cachet trouve que la somme perçue n’est pas assez élevé, mais le Ministre des finances (mais ce doit être certainement l’un de ses collaborateurs) rétorqua que de toute façon elle n’y avait pas droit et elle n’aurait jamais dû la percevoir.

Je vous jure, qu’il y a des fois où il faudrait tourner sept fois sa langue dans sa bouche (ou plutôt sa plume dans l’encrier) avant de demander quelque chose à l’administration française ... pour peu que le fonctionnaire se soit disputé le matin même avec son conjoint ou son chef et qu’il soit de mauvaise humeur !

C’est vrai que les femmes, je prends exemple sur la mienne, foncent  souvent tête baissée, sans toujours réfléchir aux possibles conséquences de leur attitude,  mais c’est comme cela que nous les aimons, drapées dans cette spontanéité qui ajoute encore plus de charme à leur beauté naturelle.

Mme Cachet saisit donc le Conseil d'Etat, qui dans un arrêt de principe du 3 novembre 1922, annula la décision du ministre des finances.

Ce faisant, les juges du Palais Royal posèrent pour la première fois le principe en vertu duquel une décision administrative irrégulière qui a créé des droits ne peut être retirée une fois le délai de recours expiré, c'est à dire lorsque le juge n'est plus en mesure d'en prononcer l'annulation.

SOURCE : Conseil d'Etat, du 3 novembre 1922, 74010, publié au recueil Lebon

« S'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle constate qu'une de ses décisions ayant créé des droits est entachée d'une illégalité de nature à en entraîner l'annulation par la voie contentieuse, de prononcer elle-même d'office cette annulation, elle ne peut le faire que tant que les délais du recours contentieux ne sont pas expirés. Dans le cas où un recours contentieux a été formé, le ministre peut encore, même après l'expiration de ces délais et tant que le Conseil d'Etat n'a pas statué, annuler lui-même l'acte attaqué dans la mesure où il a fait l'objet dudit recours et en vue d'y donner satisfaction, mais il ne saurait le faire que dans les limites où l'annulation a été demandée par le requérant et sans pouvoir porter atteinte aux droits définitivement acquis par la partie de la décision qui n'a, dans les délais, été ni attaquée ni rapportée. En vertu de ces principes, est entachée d'excès de pouvoir la décision par laquelle le ministre des Finances a annulé d'office des décisions d'un directeur départemental de l'enregistrement accordant des indemnités pour pertes de loyers, alors que cette annulation a été prononcée après l'expiration du délai de quinze jours accordé par l'article 30 de la loi du 9 mars 1918, pour déférer au ministre les décisions de cette nature.  La loi du 9 mars 1918 visant exclusivement les baux à loyer et non les baux à ferme, l'indemnité ne saurait être allouée quand on se trouve en présence de la location d'une propriété qui constitue dans son ensemble un bien rural. »

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