Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Un fonctionnaire frappé d’une interdiction judiciaire d'exercice doit-il être affecté à sa demande sur un autre emploi compatible ?

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OUI : cet article concerne les fonctionnaires faisant l’objet d’une interdiction judiciaire d’exercice de leurs fonctions au sein de leur service et qui sont ainsi suspendus en application de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 et qui ne sont généralement plus rémunérés en application de l’absence de service fait conformément àl’article 20 de la loi précitée. Si vous êtes dans ce cas, vous avez le droit de faire une demande d’affectation sur un emploi compatible avec l'interdiction prononcée par le juge d'instruction en invoquant vos difficultés financières et en application du droit de tout fonctionnaire de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade. Dans son arrêt en date du 27 novembre 2015, le Conseil d’Etat considère, après avoir énoncé que, sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade, a retenu comme étant de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise l'administration en estimant que les dispositions applicables lui interdisaient d'affecter M. A... sur un emploi en dehors de la police nationale. Il n'a, ce faisant, eu égard à son office et alors même qu'une telle affectation n'aurait pu se faire que par la voie du détachement ou de la mise à disposition, pas commis d'erreur de droit ni entaché son ordonnance d'une contradiction de motifs. Enfin, qu'en enjoignant au ministre de l'intérieur d'affecter M. A ... sur « un emploi administratif du ministère de l'intérieur », le juge des référés a entendu, conformément aux conclusions dont il était saisi et aux obligations résultant de l'ordonnance du juge d'instruction, prescrire que l'intéressé soit affecté sur un emploi du ministère ne relevant pas des services de la police nationale. L'injonction qu'il a prononcée ne saurait s'entendre comme faisant obstacle à ce que le ministre décide de suspendre l'intéressé sur le fondement des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983.

En l’espèce, M.A.…, major de police affecté au service de la protection du ministère de l'intérieur, a été mis en examen des chefs de viol et harcèlement sexuel par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions.

Par une ordonnance du 8 janvier 2015, le juge d'instruction l'a placé sous contrôle judiciaire en lui interdisant notamment d'exercer des fonctions au sein d'un service de police.

Par un arrêté du 11 février 2015, le ministre de l'intérieur l'a privé de traitement à compter du 8 janvier 2015 pour absence de service fait.

Par un courrier du 25 février 2015, M. A ... a exposé les graves difficultés financières auxquelles il faisait face et a demandé à être affecté sur un emploi compatible avec l'interdiction prononcée par le juge d'instruction.

Le silence gardé par le ministre a fait naître une décision implicite de rejet.

Par une ordonnance du 19 mai 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi par l'intéressé, a suspendu cette décision sur le fondement de l'article L.521-1 du code de justice administrative et a ordonné que M. A ... soit affecté dans un délai de quinze jours sur un emploi administratif du ministère de l'intérieur.

Par un recours et un pourvoi qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat de surseoir à l'exécution de cette ordonnance et d'en prononcer l'annulation.

Aux termes du premier alinéa de l'article L.521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

En premier lieu, qu'en estimant que la condition d'urgence prévue par les dispositions précitées était remplie, après avoir relevé que cette décision privait M. A... de tout traitement et qu'en dépit de la nature et de la gravité des chefs de mise en examen l'intérêt public ne s'opposait pas à ce que son exécution soit suspendue, le juge des référés, dont l'ordonnance est suffisamment motivée sur ce point, a porté sur les circonstances de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation. 

En second lieu, que le juge des référés, après avoir énoncé que, sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade, a retenu comme étant de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise l'administration en estimant que les dispositions applicables lui interdisaient d'affecter M. A... sur un emploi en dehors de la police nationale.

Il n'a, ce faisant, eu égard à son office et alors même qu'une telle affectation n'aurait pu se faire que par la voie du détachement ou de la mise à disposition, pas commis d'erreur de droit ni entaché son ordonnance d'une contradiction de motifs.

Enfin, qu'en enjoignant au ministre de l'intérieur d'affecter M. A... sur « un emploi administratif du ministère de l'intérieur », le juge des référés a entendu, conformément aux conclusions dont il était saisi et aux obligations résultant de l'ordonnance du juge d'instruction, prescrire que l'intéressé soit affecté sur un emploi du ministère ne relevant pas des services de la police nationale.

L'injonction qu'il a prononcée ne saurait s'entendre comme faisant obstacle à ce que le ministre décide de suspendre l'intéressé sur le fondement des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983.

Le moyen tiré de ce que le juge des référés, en prononçant cette injonction, aurait statué au-delà des conclusions dont il était saisi doit être écarté.

Il résulte de ce qui précède que le pourvoi en cassation présenté par ministre de l'intérieur contre l'ordonnance du 19 mai 2015 doit être rejeté.

Le rejet de ce pourvoi prive d'objet le recours par lequel le ministre demande qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance.

SOURCE : Conseil d'État, 5ème SSJS, 27/11/2015, 390793, Inédit au recueil Lebon

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