Maître André ICARD
Avocat au Barreau du Val de Marne

Quels sont les contrôles du juge administratif sur la décision de licenciement d’un fonctionnaire stagiaire ?

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En effet, il ne suffit pas d’avoir réussi brillamment le concours pour être sûr de devenir fonctionnaire. La titularisation de l’agent ne peut être prononcée qu’à l’issue d’un stage probatoire, généralement d’un an renouvelable. C’est en quelque sorte la période d’essai du fonctionnaire stagiaire dans son service d’affectation ou il va se confronter au monde professionnel et à ses exigences. Et malheureusement, je trouve qu’en ce moment il y a pas mal de licenciement en cours ou en fin de stage pas toujours justifiés. Alors, pour savoir quels sont les moyens à invoquer devant le juge administratif pour obtenir l’annulation d’une décision de licenciement,  je vous invite à lire le contenu ci-dessous.

1 - Le contrôle des motifs du licenciement (insuffisance professionnelle, faute professionnelle, inaptitude physique, intérêt du service.)

11 - Pour le licenciement en fin de stage : le contrôle du juge est restreint et se limite à l’erreur  manifeste d’appréciation de l’insuffisance professionnelle.

Le juge administratif vérifie seulement l’absence d’une disproportion excessive entre les faits et la décision prise sur leur fondement. 

Par exemple en matière disciplinaire, compte tenu de la gravité de faute commise par un agent public, la révocation est une sanction trop lourde. 

Annulation du recrutement au tour extérieur d’un inspecteur général des bibliothèques du fait que le candidat ne possédait aucune expérience dans le domaine. 

Conseil d'Etat, 3 / 5 SSR, du 22 avril 1992, 74017, inédit au recueil Lebon (commune de Montgeron)

« (…) Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens invoqués par M. X... et par le commissaire de la république de l'Essonne à l'appui de leur demande ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X... a bénéficié d'un avis favorable à sa titularisation de la part de son chef de service et du secrétaire général de la mairie ; que sa note était satisfaisante à l'époque des faits ; qu'ainsi l'insuffisance professionnelle de l'intéressé n'est pas établie et que le refus de titularisation qui lui a été opposé est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; que, par suite, la COMMUNE DE MONTGERON n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision du 29 mars 1984 du maire de Montgeron et à demander que ce jugement soit annulé dans cette mesure ; (…) » 

Conseil d'Etat, Section du Contentieux, du 3 décembre 2003, 236485, publié au recueil Lebon

« (…) Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle restreint sur la décision du jury de classement des auditeurs de justice déclarant l'un d'eux inapte à l'exercice de fonctions judiciaires. (…) »

Il faut noter que ce type de licenciement en fin de stage ne nécessite :

- Ni d’être motivé :

Conseil d'Etat, 5 SS, du 26 septembre 1994, 124157, inédit au recueil Lebon

- Ni de l’octroi un délai de préavis avant la date du licenciement :

Conseil d'Etat, 5 / 3 SSR, du 10 juillet 1996, 129377 129864, mentionné aux tables du recueil Lebon

- Ni la communication du dossier à l’agent ;

Conseil d'Etat, 2 / 6 SSR, du 4 février 1981, 16499, inédit au recueil Lebon

Conseil d'Etat, Section du Contentieux, du 3 décembre 2003, 256879, publié au recueil Lebon

- Ni l’invitation de l’agent à faire valoir ses observations.

Tribunal administratif de Melun, 5 novembre 2002, n° 01-477/5, l’agent alléguait une charge de travail excessive et l’insuffisance de sa formation.

- Mais il nécessite l’avis préalable de la commission administrative paritaire.

12 - Pour le licenciement en cours de stage : le contrôle du juge est beaucoup plus étendu, il est dit normal.

Conseil d'Etat, 5 / 3 SSR, du 28 février 1997, 148935, mentionné aux tables du recueil Lebon

« ( …) Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur l'appréciation faite par l'autorité administrative des aptitudes d'un agent stagiaire lorsqu'elle décide de le licencier en cours de stage pour insuffisance professionnelle.(…) »

Conseil d'Etat, 3ème et 8ème sous-sections réunies, du 16 février 2005, 262820, mentionné aux tables du recueil Lebon

« (…) Le Juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur la décision de mettre fin au stage d'un agent territorial avant l'expiration de sa durée normale et dans les conditions prévues par le décret du 4 novembre 1992 ; (…) »

Le juge va contrôler l’erreur de droit :

L’erreur de droit : elle peut résulter d’un détournement de procédure (illégalité externe) ou d’un défaut de base légale (Conseil d’Etat, Assemblée, Barel et autres, 28 mai 1954) – le ministre chargé d’arrêter la liste des candidats admis à se présenter au concours d’entrée à l’Ecole Nationale d’Administration a cru pouvoir établir des discriminations en prenant en compte les opinions politiques de certains d’entre eux). 

Conseil d'Etat, 6 / 2 SSR, du 6 avril 1992, 114582, inédit au recueil Lebon

« (…) qu'un rapport du 1er août 1986, établi en application de ladite instruction, après six semaines de travail de M. Y... dans trois postes différents, indiquait qu'aucun reproche réel ne pouvait être fait à l'intéressé, mais que celui-ci manquait de courage et de motivation, ce qui laissait mal augurer de son activité après sa titularisation ; que de tels motifs, qui ne reposent pas sur la constatation de faits établissant l'insuffisance professionnelle de l'intéressé mais sur des hypothèses concernant son comportement futur ne sauraient justifier légalement la décision de mettre fin au stage de M. Y... ; (…) »

Le juge va contrôler l’erreur de fait :

L’erreur de fait : les faits qui servent de fondement à la décision erronés. (Conseil d’Etat, 14 janvier 1916, Camino, Rec. p. 15,  conclusions Corneille - un maire avait été révoqué au motif qu’il n’aurait pas veillé à la décence d’un convoi funèbre, ce qui s’est avéré matériellement inexact.) 

Très important : les faits sont considérés comme définitivement établis devant les juges du fond et non susceptibles d’être reconsidérés en cassation. 

Le juge va contrôler que le stage a eu un caractère probant et qu’il n’a pas été trop court :

Conseil d'Etat, 6 / 2 SSR, du 6 avril 1992, 114582, inédit au recueil Lebon

« (…) la durée effective du stage accompli par M. Y... a donc été de six semaines et demie et non de dix semaines comme le soutient la VILLE D'ANGERS ; qu'en relevant que le stage de M. Y... n'avait duré que six semaines, le tribunal administratif de Nantes n'a pas retenu des faits matériellement inexacts ; (…) »

Le juge va contrôler que l’administration n’a pas confié au stagiaire des fonctions différentes de celles pour lequel il a été recruté :

Conseil d'Etat, 3 SS, du 17 juin 1992, 122446, inédit au recueil Lebon

« (…) Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport adressé par le maire au président de la commission administrative paritaire saisie du cas de M. X..., que l'intéressé s'était vu essentiellement confier des fonctions afférentes à l'emploi de secrétaire adjoint de mairie et que c'est par rapport à l'exercice de telles fonctions que ses capacités professionnelles ont été appréciées ; que dans ces conditions le stage effectué par M. X... n'avait pas un caractère probant de nature à établir l'inaptitude de l'intéressé à exercer les fonctions auxquelles lui donnait vocation l'emploi dans lequel il avait été nommé, et ainsi à justifier légalement le refus de titularisation opposé à l'intéressé ; que dans ces conditions la commune n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement, suffisamment motivé, par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé les arrêtés qui lui avaient été déférés ; (…) »

Conseil d'Etat, 7 /10 SSR, du 27 janvier 1993, 106527, inédit au recueil Lebon

« (…) qu'il ressort des pièces du dossier que M. X..., entre la date de sa nomination en qualité de conducteur auto-poids lourds stagiaire et la date de son licenciement, n'a effectivement exercé aucune des fonctions incombant aux conducteurs auto-poids lourds ; qu'ainsi n'ayant pas été mis à même d'exercer ses fonctions de stagiaire dans les conditions prévues par la loi, il ne pouvait être licencié en fin de stage sur le fondement de son insuffisance professionnelle ; (…) »

2 - Le contrôle des mobiles de l’auteur de l’acte : le détournement de pouvoir. 

Il s’agit de vérifier que l’auteur de l’acte dont il est demandé l’annulation, acte qui a toute les apparences de la légalité,  n’a pas utilisé ses pouvoirs dans un but autre de celui pour lesquels ils lui ont été conférés. (Conseil d’Etat, Parizet, 26 novembre 1875, Rec. p.934, conclusions David.). 

Le détournement de procédure est généralement considéré comme une illégalité externe, rattachée au vice de procédure ou bien comme une illégalité interne rattachée au détournement de pouvoir. (Vous avez le choix).

- Pour faire des économies budgétaires :

Cour administrative d'appel de Lyon, 3e chambre, du 12 décembre 1995, 94LY00869 94LY01568, inédit au recueil Lebon

« (…) Considérant que, par arrêté du 2 février 1990, le maire de la commune de POURRIERES a refusé de renouveler le stage de Mme X..., employée à la bibliothèque municipale, et l'a licenciée à compter du 28 février 1990, à raison de son insuffisance professionnelle ; que, toutefois, la commune de POURRIERES ne fait état d'aucun élément sérieux de nature à établir que Mme X... ait fait preuve d'insuffisance professionnelle durant son stage ; qu'il ressort en revanche des pièces du dossier, et notamment de la lettre du maire de POURRIERES, en date du 31 juillet 1989, que celui-ci a procédé au licenciement de Mme X... dans un souci d'économies budgétaires, sans toutefois mettre en oeuvre la procédure de suppression de poste nécessaire à cette fin ; que, par suite, sa décision est entachée d'un détournement de procédure et doit, pour ce motif, être annulée ; (…) »

- Pour des raisons politiques :

Cour administrative d’appel de Lyon, Commune d’Apprieto, n° 94LY00653

- Pour une « mise au placard » :

Cour administrative d'appel de Marseille, 2e chambre, du 2 juin 1998, 97MA01472, inédit au recueil Lebon

« (…) Considérant qu'il résulte de l'instruction que le maire de MANDELIEU-LA-NAPOULE, par une série de mesures intervenues à partir du 27 juin 1995, destinées notamment à isoler M. X... dans un nouveau local et à ne plus lui confier de tâches en rapport avec son emploi, a privé ce dernier de la plus grande part de ses attributions, soit en les lui retirant en fait, soit en lui ôtant les moyens matériels nécessaires à leur exercice ; que ces décisions ne peuvent dans les circonstances de l'espèce, être regardées comme des mesures d'ordre intérieur échappant au contrôle du juge administratif ; que si devant la Cour, la commune soutient que le maire se serait trouvé dans l'obligation de retirer ses attributions à M. X..., en raison des malversations qu'aurait commises ce dernier, ce motif n'a jamais été invoqué, ni au moment où cette décision a été prise, ni devant le Tribunal administratif, où la commune n'a mentionné qu'à titre très subsidiaire l'utilisation par l'intéressé de sa voiture de fonctions à des fins personnelles ; qu'ainsi les agissements reprochés à M. X... ne peuvent être considérés comme le fondement réel de ces décisions ; que lesdites décisions, qui ont été annoncées par le maire dès l'élection de la nouvelle municipalité, doivent, dès lors, être regardées comme dépourvues de tout lien avec l'intérêt général et encourent de ce fait l'annulation pour détournement de pouvoir ; (…) » 

3 - Les effets de l’annulation de la décision de licenciement par le juge.

En exécution de la décision judiciaire annulant le licenciement d’un stagiaire, l’administration est tenue non pas de titulariser l'intéressé mais seulement de réexaminer ses droits à titularisation à la date de la décision annulée.

Conseil d'Etat, 9 / 8 SSR, du 22 juillet 1994, 151331, mentionné aux tables du recueil Lebon

«  (…) En exécution de la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux annulant l'arrêté ministériel qui avait mis fin au stage préalable à la titularisation d'un agent dans le corps des professeurs certifiés, le ministre était tenu, non de titulariser l'intéressé dans ledit corps mais seulement de réexaminer ses droits à titularisation à la date de la décision annulée. Le ministre n'a pas procédé à cette nouvelle appréciation. Mais l'intéressé ayant bénéficié depuis cette date d'un nouveau stage au terme duquel l'administration a estimé par une décision dont la légalité n'a pas été contestée, qu'il ne pouvait pas être titularisé dans le corps des professeurs certifiés, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande tendant à ce qu'une astreinte soit prononcée à l'encontre de l'Etat. (…) »

Mais l’administration peut aussi décider une prolongation du stage initial pour la durée restant à courir jusqu’à la fin du stage.

Conseil d'Etat, 3 SS, du 15 novembre 1996, 170085, inédit au recueil Lebon

«  (…) Considérant que, par un jugement du 11 juillet 1994, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 16 juillet 1991 par lequel le maire de Saint-Martin d'Hères a mis fin au stage de moniteur d'éducation physique de M. X... à compter du 1er septembre 1991 ; qu'en exécution de ce jugement, le maire de la commune de Saint-Martin d'Hères a, d'une part, prononcé la réintégration de M. X... à compter du 1er septembre 1991 en qualité de moniteur d'éducation physique stagiaire à mi-temps avec une prolongation de stage d'une durée de cinq mois et, s'est d'autre part, engagé à verser à l'intéressé une indemnité en vue de réparer le préjudice qu'il a subi, après transmission par ce dernier des justificatifs nécessaires à son évaluation ; que la commune doit être regardée comme ayant ainsi pris les mesures qu'appelle l'exécution du jugement précité ; que, dès lors, la demande de M. X... tendant à ce que la commune de Saint-Martin d'Hères soit condamnée au paiement d'une astreinte est devenue sans objet ; (…) » 

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